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flattait de revenir, à la façon du général Bonaparte, avec un prestige agrandi par l’absence. Ce n’est qu’au retour de ce voyage que Lamartine, élu à Dunkerque, entrait décidément au parlement français, et, lorsqu’on lui demandait où il irait s’asseoir dans cette chambre, il répondait : « Au plafond, car je ne vois de place politique pour moi dans aucun de ces partis. »

Le fait est qu’il ne laissait pas d’être embarrassé au premier moment. Il ne voulait pas s’affilier aux défenseurs de la monarchie nouvelle ; il se faisait un point d’honneur, comme il l’a dit depuis, de « garder à cette monarchie les rancunes décentes d’un royaliste tombé, avec les regrets de 1830. » Légitimiste lui-même, il voulait encore moins suivre le parti légitimiste, « fourvoyé dans toutes les impasses et dans toutes les coalitions contre nature par des chefs éloquens, mais sans vues. » Par ses instincts conservateurs et humanitaires, il était encore plus éloigné des partis démocratiques et belliqueux, de ceux qu’il appelait les grognards de 1792 et de l’île d’Elbe, déjà conjurés contre la royauté qu’ils avaient faite. Il était séparé de tous les partis, il ne se rattachait à aucun. Que lui restait-il à faire ? Il allait s’asseoir au sommet de la droite, sur un banc isolé, regardant d’en haut les luttes parlementaires, essayant quelquefois de s’y mêler, supportant toujours avec une secrète impatience cette glorieuse défaveur qui depuis Platon s’attache au nom de poète en politique, et, lorsqu’un de ses amis l’interrogeait, il lui répondait : « Tu ne peux pas me comprendre en entier, personne ne peut me comprendre en entier, parce que je ne peux m’expliquer qu’au jour le jour pour ne pas effrayer le milieu sur lequel je veux agir. »

Le désintéressement apparent de Lamartine cachait une étrange ambition et, si j’osais ajouter le mot, une infatuation naïve. Je ne dis certes pas qu’il n’eût le droit de secouer la proscription de Platon et d’entrer dans la politique ; mais, pour s’expliquer ce qu’il a fait, ce qu’il a été, il faut bien savoir ce qu’il entendait par la politique, avec quelles dispositions il entrait dans les luttes parlementaires, quel rôle il se dessinait à lui-même dans les hardiesses d’une imagination qui, sans en avoir l’air, allait à toutes les extrémités. Lamartine n’était pas homme à borner ses rêves, à se contenter d’un rôle simple, actif et brillant, qui eût pu suffire encore à une ambition légitime. Il caressait dans sa pensée je ne sais quel inconnu, je ne sais quelle destinée exceptionnelle. Dans un de ces entretiens qu’il multipliait au soir de sa vie et qui sont souvent des fragmens de mémoires bien plus qu’un cours familier de littérature, Lamartine raconte qu’un matin de 1831, avant son voyage d’Orient, se trouvant à Londres, il était allé voir le prince de Talleyrand occupé à négocier la paix de la révolution de juillet avec l’Europe. Talleyrand ne recevait pas seulement avec bienveillance