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Il était né à l’aube de la révolution française, en 1791, dans, une de ces familles de prédilection, comme il l’a dit, « où l’on tient à la fois à la noblesse par le nom et au peuple par la modicité de la fortune, par la simplicité de la vie, par la résidence à la campagne ; » famille nombreuse, aisée et honorée, qui avait gardé les sentimens royalistes avec toutes les traditions de bon goût, et de bon ton du monde d’autrefois. Le père de Lamartine était un ancien officier retiré dans la vie de province, qui était allé « sans espoir, mais sans hésitation, » défendre le roi au 10 août, et qui, emprisonné sous la terreur, n’échappa peut-être à la mort que par une distraction ou une connivence des pouvoirs révolutionnaires ; sa mère, fille de Mme des Roys, sous-gouvernante des enfans du duc d’Orléans, avait été élevée au Palais-Royal, où elle avait vu la dernière apparition de Voltaire et les philosophes de la fin du siècle. Mille fois elle avait joué sous les beaux ombrages de Saint-Cloud avec le prince qui devait être Louis-Philippe, et certes, lorsqu’elle était jeune épouse et jeune mère, elle ne se doutait pas que cinquante-six ans plus tard le fils qu’elle allaitait bannirait de ces rians jardins les enfans et les petits-enfans du prince avec qui elle avait grandi. Dans cette maison de modeste noblesse, il y avait encore des tantes religieuses déliées de leurs vœux par la révolution, des oncles dont l’un était un abbé de cour qui avait vécu à Paris, et s’était lié d’amitié avec Lafayette.

Ce cercle domestique, Mâcon la ville natale, Milly la terre de famille avec son verger et ses champs, Ursy le château de l’abbé de Lamartine, futur héritage du poète, les montagnes de la Haute-Bourgogne, le Jura et les Alpes aux cimes bleuâtres dans le lointain, ce sont là les premiers horizons de l’auteur des Méditations. C’est là qu’il s’est formé dans une atmosphère caressante et saine, loin de Paris et de ses agitations gigantesques ou factices ; c’est là qu’il a grandi, enfant libre et heureux, ignorant « ce que c’était qu’une amertume de cœur, une gêne d’esprit, une sévérité du visage humain. » Je ne sais pas ce qu’il put apprendre sous ces pères de la foi de Belley dont il fut un moment l’élève, à l’école de ces « aimables sectateurs d’une aimable sagesse » qu’il a chantés depuis dans les premiers vers échappés à son imagination ; il apprit sans doute ce qu’on apprend assez souvent pour l’oublier. L’éducation de son âme et de son esprit, elle s’est faite réellement dans la liberté de la vie familière, au milieu des bergers de Milly, sous les yeux de ce père au caractère droit et simple, qui garda toujours quelque chose du capitaine et du gentilhomme, auprès de ce jeune vicaire de village qui en se transfigurant est devenu Jocelyn, et surtout enfin sous l’influence d’une mère qui est restée un type parmi ces mères des enfans de génie. Voilà la première et féconde source de