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de Marbode n’attiédit pas le zèle de ses alliés. Dès qu’ils furent appelés par le son des cloches à l’église cathédrale de Saint-Maurice, où, suivant l’usage et la loi, l’élection devait se faire, ils y arrivèrent en si grand nombre que leurs acclamations prévalurent : la faible voix du parti contraire fut à peine entendue. Vainement le préchantre Hubert et les archidiacres Garnier et Guillaume, soutenus par la majorité de leurs collègues, invoquent leurs droits, disent-ils, méconnus, criant que des gens d’épée et des gens de métier ne peuvent faire un évêque contre le vœu d’un chapitre et de tout son clergé ; la foule leur répond par de méprisans murmures, et, les chanoines demeurant en place quand la foule leur commande de conduire l’élu vers l’autel, un grand tumulte s’élève. C’est alors qu’une femme, une comédienne de mauvais renom, ne cessant de proclamer Rainaud[1] et dominant de sa voix le tumulte, entraîne elle-même vers l’autel toute cette multitude ameutée. Une plus longue résistance devient impossible, les chanoines vaincus s’ébranlent et se dirigent vers le chœur de l’église. Aussitôt toutes les clameurs cessent, et le solennel Te Deum laudamus est chanté par le chapitre en l’honneur de Rainaud.

Tout cependant n’est pas terminé. Cette élection sera-t-elle acceptée par les évêques de la province, auxquels en sera déféré l’examen, et l’élu sera-t-il par eux, dans le délai de trois mois, définitivement consacré ? Le doyen Etienne et l’abbé de Vendôme vont s’agiter de nouveau et de nouveau tout remuer pour obtenir, s’il est possible, l’annulation du vote qui ne leur a pas été favorable. C’est à l’archevêque de Tours que leurs protestations devaient être d’abord adressées. Ils protestèrent en premier lieu contre la capacité de Rainaud, alléguant son âge et l’infériorité de son grade. Ils exposèrent ensuite les circonstances de son élection. Les opérations avaient-elles été régulières ? Quand les plus considérables des membres du clergé se prononçaient contre Rainaud, la masse du peuple s’était déclarée pour lui : l’église devait-elle subir l’opprobre d’une intrusion séditieuse ? Le doyen Etienne alla lui-même trouver Raoul, le pria, le supplia de différer la confirmation, et de soumettre l’affaire au jugement du pape.

À ce moment, nous voyons pour la première fois intervenir dans le débat un très noble et très docte évêque dont la grande renommée s’est conservée jusqu’à nos jours, Hildebert de Lavardin, évêque du Mans, premier suffragant de l’archevêque de Tours. Né au château de Lavardin, près Montoire, Hildebert était tout à fait étranger aux passions angevines ; mais il avait contre le parti des laïques des

  1. « Mima quædam et mulier publica, quæ vos garruliter acclamabat, » écrit Geoffroy de Vendôme à Rainaud ; Epistol., lib. III, epist. 11.