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simplement docile aux instructions de son collègue l’abbé de Vendôme. Ayant pris la résolution de voter contre Rainaud, Guillaume y persista malgré toutes les prières qu’on lui fit en faveur de ce candidat ; mais, n’approuvant pas sans doute tout le mouvement qu’on se donnait pour le repousser et ne voulant en aucune façon participer à de condamnables intrigues, il fut d’abord accusé de mollesse, puis de défection, La même accusation fut portée contre un des archidiacres d’Angers. Geoffroy leur écrivit à l’un et à l’autre la lettre suivante :


« Nous vous prions, nous vous supplions au nom de la vérité, qui est le Christ lui-même, ayant embrassé par l’inspiration du Saint-Esprit la cause de Dieu contre Rainaud, de ne pas déserter cette cause. Si vous le faites, vous reniez le Christ, qui est la vérité. Au péril de vos âmes, vous rendez son église, qui doit être chaste et libre, la concubine et la servante de la sécularité ; en outre, ce qui, nous l’espérons bien, n’arrivera pas, vous devenez pour tous vos amis des perfides, et vous provoquez leurs trop justes ressentimens. Sachez-le bien, vous n’avez rien à craindre, car beaucoup de gens après Dieu viendront à votre aide. Dans ce nombre, comptez-moi, comptez l’abbé de Saint-Serge. Nous aimerions mieux être écorchés vifs que consentir à une telle abomination. Adieu. Ale redoutez pas non plus de perdre vos biens temporels. Le diable ne peut vous en ravir autant que Dieu peut vous en restituer. Non, vous ne perdrez rien dans cette affaire, et, si vous combattez fermement pour la foi, pour le nom de Dieu, vous recevrez de sa main la récompense par vous méritée[1]. »


En effet, aux approches du jour marqué pour l’élection, Geoffroy quitta Vendôme et se dirigea vers la ville d’Angers. L’équipage ordinaire de cet opulent abbé se composait de douze chevaux[2]. Dans les villages, dans les villes qu’il traversait, on allait au-devant de lui comme au-devant d’un comte. De Rennes, Marbode se rendait au même lieu pour le même jour, quand, n’étant pas sans doute sous la protection d’une aussi nombreuse chevauchée, il fut arrêté, battu, volé, chargé de fers et conduit en prison.

La nouvelle de cette criminelle violence s’étant répandue, Geoffroy fut jugé capable de l’avoir commise, et il en fut accusé. On se trompait : l’auteur de l’entreprise était le doyen Etienne. Dès qu’on le sut, Etienne fut obligé de quitter la ville, ou de s’y cacher en quelque sûre retraite ; l’animation du public était si vive contre lui qu’il n’aurait pu se montrer sans péril. Ainsi les deux armées furent, au jour de la bataille, privées de leurs chefs. Cependant l’absence

  1. Geoffridi Epistolœ, lib. IV, epist. 9.,
  2. Ibid., lib. IV, epist. 7.