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l’occasion de prendre la parole pour repousser certaine allusion aux prétendues rigueurs que lord Howick accusait M. Gladstone le père, grand propriétaire à. Demerara, d’exercer à l’égard des esclaves occupés sur ses plantations. Son premier grand discours est seulement de 1838 ; jusque-là, il se prononce sur les questions qui se produisent, notamment sur celle du vote secret, avec décision, mais sans éclat. Cependant lors de son premier ministère, en 1835, Robert Peel l’appelle dans les conseils du gouvernement en qualité de lord junior de la trésorerie et bientôt de secrétaire du bureau des colonies. Cette avance de Robert Peel, inspirée par sa sympathie pour un talent déjà réel et peut-être par l’analogie de ses propres débuts avec ceux de M. Gladstone, a peut-être décidé de la carrière de celui-ci. Quelle aurait été la conduite de Robert Peel dans les circonstances que l’Angleterre traverse depuis quelques années ? jusqu’où serait-il allé ? à quel point aurait-il fait halte ? quelle part aurait-il prise aux réformes qui s’accomplissent, et, s’il ne s’en était pas chargé lui-même, y aurait-il du moins donné son adhésion ? Questions auxquelles il est impossible de répondre. Ce qu’on peut dire, c’est que même après la dislocation de son parti Robert Peel resta conservateur ; mais il est un point où il se distingua toujours du parti de la résistance outrecuidante et de l’immobilité aveugle : il eut autant que le comportait son époque, — si loin, à ce qu’il semblait, de l’invasion démocratique, et si près encore de ce qu’on appelait les excès de la révolution, — le sentiment des obligations du pouvoir envers les masses. Il ne se fit jamais un point d’honneur de fermer l’oreille à leur voix quand il la reconnut d’accord avec la voix de la justice. C’est pourquoi, après avoir été l’adversaire persévérant de plusieurs réformes considérables, on le vit les accepter avec loyauté lorsqu’elles furent accomplies, ou les entreprendre malgré tous les obstacles. Il existe entre Robert Peel et M. Gladstone des différences profondes de caractère et d’esprit : M. Gladstone a particulièrement un côté chimérique dans la tête qui, sous les apparences de la logique, aurait pu le mener loin ; mais qu’on ne s’y trompe pas, il est conservateur comme Robert Peel. Seulement il a su apprendre à son école que la conservation ne consiste pas à ne rien faire, à écouter exclusivement les suggestions passionnées des partis, à regimber contre l’aiguillon de la nécessité. Sans être ce qu’on peut appeler une intelligence libre, il s’est accoutumé, quoi qu’il lui en coûtât parfois, à plier sa pensée aux circonstances et à subir la loi dû temps.

En outre M. Gladstone est, comme financier, le disciple ou plutôt l’héritier direct de Robert Peel, l’heureux continuateur de son œuvre, mais un continuateur qui a singulièrement étendu