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50 francs de pourboire par mois. Leur grand défaut, c’est l’ivrognerie ; on ne sait comment s’y prendre pour mettre le vin hors de leur atteinte. A l’Hôtel-Dieu, à Lariboisière, les brocs qui font la navette du cellier aux salles sont munis d’un cadenas dont le sommelier et la religieuse ont seuls la clé ; précaution inutile, ils savent dans les récipiens les mieux clos introduire quelque paille, parfois une sonde qu’ils ont dérobée au médecin, et la ration arrive toujours réduite à destination. Ils boivent le vin de quinquina ; dans les services d’accouchement, les infirmières volent le rhum dont on se sert pour ranimer les enfans à demi éteints. Bien plus les chirurgiens qui font des préparations anatomiques sont obligés de les enfermer à double serrure, parce que les infirmiers ont l’épouvantable courage de boire l’alcool qui les baigne et les conserve. C’est un métier peu recherché que celui d’infirmier ; la plupart de ceux qui l’exercent ne le font que momentanément, et tâchent d’y échapper le plus tôt possible. Ceux qui s’en sont fait une ressource définitive, et qui parfois, s’attachant aux malades, deviennent de bons serviteurs, sont faciles à reconnaître ; ils sont hideux. Cela est frappant, surtout à Saint-Louis ; les malheureux qui par suite d’une maladie ont été défigurés et n’offrent plus aux regards que des faces de monstre sont restés là comme infirmiers, car ils ont compris qu’ils ne trouveraient point de place ailleurs, et que partout on les chasserait comme des objets de dégoût. Par une anomalie moins étrange peut-être en France qu’en d’autres pays, ce personnel généralement vicieux, sans scrupule, grossier et de mauvais instincts, a un sentiment très vif du devoir professionnel : quel que soit le danger, il ne déserte pas. Pendant la dernière épidémie de petite vérole, tous les infirmiers étaient à leur poste, et nul n’avait fui devant la contagion. En cela, ils sont un peu semblables à ces soldats mauvais sujets, familiers de la salle de police, et qu’on retrouve toujours au premier rang à l’heure du combat.

D’ordinaire les hôpitaux sont très calmes. Les salles sont bien l’asile de la souffrance et de l’affaissement ; elles ont l’air d’être naturellement silencieuses, et, machinalement on y parle à voix basse. Elles ne s’animent que deux fois par semaine, le dimanche et le jeudi, de une heure à trois. Ce sont les jours et les heures, d’entrée ; chacun, sans carte ni permission, est admis à visiter les malades. Pendant ce laps de temps, les préaux sont déserts, car chacun doit rester au lit ; c’est une mesure qui peut paraître puérile au premier abord, mais elle est justifiée par des nécessités de surveillance auxquelles les malades, dans leur intérêt même, doivent être soumis. Parfois la foule abonde (il y a des dimanches d’hiver où l’Hôtel-Dieu a reçu plus de 5,000 visiteurs) ; mais lorsque le ciel est pur, lorsque la paie a été faite la veille, on s’en aperçoit bien vite :