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Saint-Germain, auxquels leurs maîtres envoient volontiers de l’argent, un cantinier gagne sans efforts de 3,500 à 4,000 francs par an. On débite là aussi de menus objets, plumes et papier, aiguilles et coton pour les femmes ; mais pourquoi n’est-il pas permis d’y vendre de la laine en écheveau et du fil ? Craint-on que les convalescentes ne travaillent pour leur propre compte, et ne devrait-on pas plutôt les y encourager, car peut-être pourraient-elles gagner quelques sous qui les aideraient à vivre lorsqu’elles sortiront de l’hôpital ?

C’est généralement sur les préaux ou sur les cours, dans des corps de logis situés au rez-de-chaussée, que s’ouvrent la pharmacie, les magasins, les celliers, les cuisines. Celles-ci sont toujours très amples, sablées de sable jaune, très claires et baignées dans une atmosphère insupportable de chaleur. Les vases de cuivre bouillonnant sur le fourneau noir reluisent comme de la vaisselle d’or ; les marmites portatives à compartimens sont rangées sur des étagères, chacune devant le nom de la salle qu’elle doit desservir. La nourriture est très saine : de la viande, du poisson frais, des légumes, du bouillon, qui m’a paru savoureux. Les malades, selon leur état sanitaire, ont une part, deux, trois et quatre parts ; c’est là qu’on s’arrête, car c’est la pitance d’un homme bien portant. Dans les hôpitaux, comme dans les prisons, comme dans tous les grands établissemens où la cuisine est située loin du lieu de distribution des vivres, où il faut monter des escaliers, traverser des corridors et diviser préalablement la nourriture avant de la donner à ceux qui l’attendent, on mange froid, ou, ce qui vaut encore moins, refroidi ; la graisse est à demi figée, la viande a perdu de sa saveur et la friture du poisson est déjà flétrie. C’est un inconvénient auquel il serait possible de remédier en employant au transport des cantines contenant les vivres ces boîtes intérieurement capitonnées qu’on nomme des cuisines norvégiennes, et qui conservent pendant plusieurs heures aux alimens une chaleur de 60 degrés. Autrefois on évitait ce désagrément, mais pour en créer un beaucoup plus grave. Au milieu de chaque salle s’élevait un fourneau sur lequel on faisait habituellement chauffer les tisanes et les cataplasmes ; quand l’heure des repas sonnait, il servait à raccommoder le dîner, c’était le mot consacré. Sous prétexte de raccommoder le bouillon, les infirmiers, les religieuses elles-mêmes, ne se gênaient guère pour faire cuire toute sorte de ragoûts, et l’atmosphère déjà très chargée de la salle ne tardait pas à devenir intolérable. Il a fallu des années de lutte pour arriver à déraciner ce vieil abus que les maladreries du moyen âge nous avaient légué ; encore aujourd’hui une surveillance incessante est nécessaire pour l’empêcher de renaître. Quant au vin distribué aux malades, il est très bon et en