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les médicamens, on le visite chez lui, on lui porte les secours dont il a besoin ; en un mot, on développe autant que possible le système des traitemens à domicile, quelque coûteux qu’il puisse être pour l’administration, afin de dégager les hôpitaux et d’en garder les places disponibles pour les pauvres diables qui, n’ayant ni maison ni famille, sont réduits à gîter dans le galetas des garnis. Bien des misérables à bout de ressources viennent au bureau central dans l’espoir d’obtenir un lit hospitalier, l’abri et la pitance quotidienne. Il faut savoir n’être point pitoyable pour ces gens-là, car si l’on écoutait leurs plaintes, si l’on accédait à leur désir, ils encombreraient les hôpitaux, et les vrais malades resteraient sur le pavé. On ne les repousse pas, on leur donne un bain, dont, en dehors de toute thérapeutique, ils ont toujours un impérieux besoin ; on leur glisse quelque monnaie dans la main, on change leurs vêtemens sordides contre des hardes plus propres laissées aux hôpitaux par des malades décédés, on leur distribue des soupes, et, s’ils ont besoin d’un pansement, ils trouvent un infirmier et une religieuse toujours prêts à leur rendre les soins les plus répugnans.

Des bulletins portant le nombre des lits vacans dans chaque hôpital sont remis aux chirurgiens et aux médecins qui donnent les consultations au bureau central ; ceux-ci savent donc toujours à combien de malades ils peuvent accorder l’hospitalité. Parmi tous les individus qui se sont adressés à eux, ils font un premier choix, et réservent pour un examen ultérieur ceux qui leur paraissent le plus gravement atteints. C’est là le groupe privilégié de la souffrance ; lorsque la consultation est terminée, il s’agit de faire une sélection définitive, car la proportion de ces malheureux dépasse invariablement celle des lits dont on peut disposer. On désigne ceux qui, sans danger pour eux-mêmes, sans péril pour la santé publique, ne peuvent attendre. Selon le mal dont ils souffrent, selon les vacances indiquées, on les dirige sur tel ou tel hôpital. Ils ont parfois des sourires d’une joie navrante : enfin ils vont donc pouvoir étendre leurs pauvres membres endoloris et dormir tout à leur aise ! Les autres sont mécontens, ils se plaignent. On les remet au lendemain, on leur dit que la place seule et non pas la bonne volonté fait défaut ; mais on ne réussit guère à les calmer, et la plupart se retirent en maugréant. Ce spectacle est très pénible. On a beau comprendre que le possible a été fait, que les hôpitaux, si bien outillés, si vastes qu’ils soient, ne peuvent recevoir tous les malades qui se présentent, on se sent ému de pitié, et l’on voudrait pouvoir d’un coup de baguette centupler les ressources dont dispose notre organisation hospitalière.

Il est intéressant de constater quel a été le mouvement des