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s’étaient affermies, raffinées dans l’atmosphère d’Eton et d’Oxford, de sorte qu’avant d’avoir quitté les bancs le jeune Gladstone, chargé de ses lauriers de collège, au premier rang parmi les orateurs de l’Union debating society, cette arène où se mesurent entre deux parties de cricket les ambitions des députés en herbe, tout brillant des honneurs universitaires, était déjà une des espérances du parti conservateur. Par sa gravité naturelle et acquise, par ses opinions irréprochables, par ses talens présumés, par sa tenue, il était de ceux que l’aristocratie aimait alors à prendre pour favoris, un de ces purs diamans qu’elle s’empressait de tirer de leur gangue bourgeoise pour s’en parer. Aussi ne fit-il qu’un saut de Christ-Church à la chambre des communes. En décembre 1832, le duc de Newcastle, père du jeune lord Lincoln, un des amis de W. E. Gladstone, le désigna au choix des électeurs de Newark, un bourg à sa dévotion. M. Gladstone avait alors vingt-trois ans.

En 1859, à l’occasion du bill de réforme proposé par M. Disraeli, M. Gladstone prit courageusement en main la cause discréditée des petits bourgs. Il fit valoir habilement les services rendus par eux ; il rappela que les petits bourgs avaient fourni le moyen d’introduire dans la chambre des communes, à l’honneur du parlement et au grand avantage du pays, non-seulement des « maîtres de la sagesse civile, » comme Burke et Mackintosh, des hommes éminens et fiers auxquels il eût toujours répugné d’affronter les dégoûts de la lutte électorale sérieuse, mais encore des talens jeunes qui auraient dû frapper longtemps à la porte de la vie publique avant de la voir s’ouvrir devant eux. « Si l’on ne peut entrer au parlement, dit-il, que par les suffrages d’une grande masse d’électeurs, la conséquence sera d’établir un niveau de médiocrité funeste à l’honneur et à la force de cette chambre, mais destiné, qui plus est, à devenir en définitive fatal aux libertés de la nation. Et si vous voulez des faits à l’appui de ce qui vous paraît un paradoxe, je vais en produire. M. Pelham entra dans cette chambre pour le bourg de Seafoxd en 1719, il avait vingt-deux ans ; lord Chatham y entra en 1735 pour Old-Sarum, il avait vingt-six ans ; M. Fox en 1764 pour Midhurst, il avait, je crois, vingt ans ; M. Pitt en 1781 pour Appleby, il avait vingt et un ans ; M. Canning en 1793 pour Newport, à l’âge de vingt-deux ans ; sir Robert Peel en 1809 pour la ville de Cashel, il avait vingt et un ans. » Après un coup d’œil jeté sur la carrière de ces personnages, tous devenus dans la suite leaders de leur parti et la plupart premiers ministres, il ajoutait : « Qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve que les petits bourgs, dans lesquels dominaient des influences particulières, ont été le sol nourricier d’où ces hommes sont sortis, — des hommes destinés non-seulement à conduire cette chambre, à gouverner le pays, à être la force de l’Angleterre à