Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/502

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

descendans de sa famille. Lui, il eut la réalité de cette grandeur. dont Urbain eut l’illusion. Les deux tombeaux se font antithèse comme l’ambition satisfaite et l’ambition déçue. Pour compléter cette ironie, le tombeau du pape Farnèse, œuvre de Jacopo della Porta, est royal comme son succès ; celui d’Urbain VIII, sculpté par le Bernin, n’est que brillant et tourmenté, si bien que les deux monumens semblent les emblèmes des deux destinées.

Un troisième portrait, celui-là d’un auteur inconnu, nous présente l’image de donna Anna Colonna, épouse de Thaddée Barberini : triste et noble image qu’on ne peut approcher sans se sentir désenchanté de la vie et sans désirer passionnément mourir tant elle est vertueusement lugubre. Pendant qu’on la regarde, on se sent envahir par un brouillard de mélancolie épais comme le crépuscule des dieux d’Odin ; il semble que tous les oiseaux soient enroués, que toutes les étoiles soient fumeuses, et que toutes les fleurs soient des momies d’herbier. On la vit en France, cette noble et triste donna Anna Colonna, lorsque les Barberini, obligés de quitter Rome pour fuir les colères du pape Pamphily, reçurent ainsi la récompense d’avoir fait un pontife du parti espagnol. Mazarin qui de protégé devint alors protecteur de ses anciens patrons qui pensait déjà peut-être au futur mariage de l’une des Mancini avec l’héritier du nom des Colonna, lui fit le plus gracieux accueil Grâce à lui, donna Anna, qu’on appelait chez nous la princesse Palestine (du nom de Palestrina, un des fiefs des Colonna), trouva nombre de courtisans muets. « Cette dame s’accoutuma aisément à la France, dit notre judicieuse Mme de Motteville, qui était alors aux premières loges pour juger des choses. Elle trouva beaucoup de gens qui l’entendaient, et qui pour faire plaisir au ministre s’amusaient à l’écouter sans se soucier de lui répondre. En son particulier, elle était contente, pourvu qu’on lui donnât audience car elle n’aimait pas à se taire. Elle avait toujours eu la réputation d’être honnête femme et hautaine : le nom de Colonna lui semblait le plus illustre qui se pût porter. » Il n’y en avait guère en effet de plus illustre alors en Europe, illustre surtout contre nous malheureusement, car parmi les complaisans auditeurs de donna Anna il se trouvait probablement plus d’un descendant de ceux qui avaient péri par le fait de la stratégie de Fabrice et de Prosper Colonna. A son retour à Rome, elle se retira dans le couvent des carmélites de Regina cœli, qu’elle dota d’une petite église, et y attendit la mort, et c’est alors sans doute que fut peinte cette image d’une tristesse plus que monacale.

Hélas ! le portrait de donna Anna Colonna n’a que trop raison ; la vie humaine est lugubre, et il semble que ce soit par une ironie