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sa fleur par les orages de la cour, l’humble violette fut écrasée par les pieds pesans d’un Lanfranc et autres rustres pédantesques. Tous deux manquèrent du sens pratique de la vie, et surent mal se tenir fermes dans un monde où le sol est toujours mouvant. Tous deux vinrent trop tard dans une société où les délicates préoccupations de leurs âmes rêveuses ne trouvaient plus d’écho : le monde de l’art comme le monde politique n’appartient plus de leur temps aux combinaisons ingénieuses, il appartient à l’esprit de système, tranché, exclusif, qui n’admet pas de transaction. Tous deux professent un délicat éclectisme, et comme l’abeille composent leur œuvre par l’assimilation des parfums les plus divers. Tous deux ont une tournure d’esprit rétrospective et tiennent plus au génie du passé qu’au génie de leur époque, et tous deux ont en même temps un élément en quelque sorte musical qui en fait la transition entre l’Italie qui expire et l’Italie qui vient au monde. Chez l’un et l’autre, on rencontre aussi une sorte de mélancolie lumineuse qui, éparse et dissoute dans leur œuvre, en fait la pureté et la douceur. Ils ont enfin ce caractère remarquable, que, gracieux par essence, ils sont capables d’atteindre à la grandeur. Ce passage de la grâce à la grandeur que le Tasse exécute si facilement tout le long de la Gerusalemme, combien de fois le modeste Dominiquin ne l’a-t-il pas franchi aussi !

D’autres grands peintres partagent avec le Dominiquin l’honneur d’avoir prolongé l’existence de l’art italien ; mais ces peintres ne représentent pas au même degré la tradition, ou même ne la représentent pas du tout, et c’est parce que les deux élémens de la nouveauté et de la tradition sont chez le Dominiquin dans un si rare équilibre qu’il doit être considéré plutôt comme le terme suprême, l’ultima Thule de la renaissance, que comme le plus ingénieux et le plus sage des adeptes de l’école de Bologne.


II. — LES PORTRAITS DE LA GALERIE BARBERINI. — BEATRIX CENCI.

Nous nous sommes longtemps attardé auprès du Dominiquin, beaucoup par sympathie, mais davantage encore par devoir de critique. L’œuvre du Dominiquin comme celle de presque tous les artistes des dernières heures n’offre pas cette simplicité qui permet d’embrasser d’un regard rapide l’œuvre des rois de l’art et d’en marquer synthétiquement les principaux caractères. Son unité à lui, c’est l’harmonie, c’est-à-dire le délicat équilibre entre des élémens contraires, même ennemis, réconciliés à force de finesse, de souplesse et d’aimante intelligence. C’est un métal composite qu’il faut dissoudre pour en retrouver les parties. Guido Reni, son vrai rival