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petit capital, ceux-ci ne pensaient qu’à supprimer le rôle de la bourgeoisie dans le commerce et dans la production. Combien sont vaines ces espérances, c’est ce que l’on va essayer de démontrer. Cette tâche sera facilitée par les procès-verbaux d’un comité d’études sur la coopération, enquête privée et approfondie qu’ont faite récemment quelques partisans dévoués de cette idée nouvelle, — écrivains, ouvriers, petits marchands ou employés. — Les faits ont été examinés de très près, on s’est efforcé de découvrir les moyens que les associations ouvrières doivent employer pour réussir. En lisant ces instructifs procès-verbaux, l’on se rend facilement compte des causes véritables et permanentes qui s’opposent à l’essor du principe coopératif. Toutes les faiblesses, toutes les lacunes de la coopération ont été en effet nettement accusées par ses plus énergiques partisans ; il nous est permis de dire en pareil cas : Habemus confitentem reum.

Il existe en France environ 800 sociétés coopératives. La plupart végètent obscures et misérables ; plus des deux tiers sont des sociétés de consommation, c’est-à-dire se proposant de revendre en détail les marchandises et denrées qu’elles achètent en gros. C’était une opinion répandue, il y a quelques années, que toutes les associations de ce genre devaient réussir. Il semble qu’elles ne soient exposées à aucune chance de perte ; elles ont une clientèle assurée dans les membres qui les composent, leurs frais généraux paraissent devoir être faibles, il n’y a pas de patron qui ait des prélèvemens considérables à exercer. Malgré ces apparences si favorables, la plupart de ces petites sociétés anonymes ont sombré. Elles faisaient appel à de beaux sentimens, elles se paraient de noms poétiques et pleins de promesses : la Sincérité, la Fourmilière, la Vie aisée, la Famille commerciale, l’Economie ouvrière. Tout leur augurait le succès ; mais il y avait dans l’institution même des vices cachés qui devaient fatalement amener la ruine ou du moins la stagnation. Si les sociétés se constituaient avec le seul capital de leurs membres, elles se trouvaient trop pauvres, trop limitées ; elles ne pouvaient acheter de première main et de premier choix, elles n’avaient ainsi que des marchandises de rebut ; puis l’on reconnut que la plupart des articles à l’usage des classes ouvrières ne donnent qu’un bénéfice très réduit. Veut-on installer une boulangerie coopérative, l’on s’aperçoit que l’on gagne peu sur le pain ordinaire ; c’est sur le pain de luxe que le boulanger fait la plus grande partie de ses bénéfices. Pour avoir une exploitation rémunérative, il faudrait tenir à la fois une boulangerie et une meunerie ; encore conviendrait-il de les transporter hors de Paris pour épargner sur les salaires et sur l’installation. Pour l’épicerie, les difficultés sont encore plus grandes ; il faut réunir 600 articles différens que les