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Madre Natura, sur laquelle M. Disraeli paraît avoir des documens entièrement inédits. Tout autrement vaste et puissante que la Marie-Anne, cette société, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, dont le réseau indestructible s’étend sur tous les états de l’Europe, dispose des trônes et des peuples ; le but qu’elle poursuit, plus grand que celui de renverser les rois ou d’établir une constitution nouvelle, est d’éliminer de l’Occident l’élément sémitique qui s’y est introduit. Pour le moment, elle obéit aux inspirations de Teodora ; celle-ci en est l’âme, elle participe à toutes ses entreprises, et plus d’un volontaire de Garibaldi se souvient avec admiration de son intrépidité dans les journées du Voltorno et d’Aspromonte. Elle porte aujourd’hui le nom plébéien de Mme Campian, elle est la femme d’un Américain qui joue à côté d’elle un rôle assez effacé. Enfin elle se laisse aimer, comme une humble mortelle, par Lothaire. Peut-être l’aime-t-elle aussi ; du moins elle estime sa conquête d’assez haut prix pour vouloir le convertir à la république, à la démocratie, et ne dédaigne pas de mettre la générosité du jeune lord à contribution pour armer les soldats de la liberté romaine. Elle manifeste d’ailleurs une inconsistance d’idées qui nous ferait croire que c’est bien à une cervelle de femme et non pas à l’idéale personnification d’un principe que nous avons affaire. Elle ne conçoit pas de société humaine sans religion, et elle répudie toutes les religions. Animée d’une confiance exclusive dans les idées, elle condamne les conspirations comme impuissantes et coupables, et elle ne cesse de conspirer. A la veille de Mentana, elle a sur le territoire papal une dernière entrevue avec le fidèle Romolo Golonna, chef du comité national romain. Il s’agit de prévenir le retour des troupes françaises, et elle veut le dépêcher à Paris pour négocier avec Napoléon III.


« Pour lui, dit-elle en parlant de l’empereur, les sociétés secrètes sont, comme le suffrage universel, des bêtes farouches et dangereuses qu’il faut et qu’on peut surveiller, dompter, manier au moyen de la police. Il leur prête l’oreille, mais il joue avec elles en temporisant. Au fond du cœur, son sang italien méprise les Français. Il faut quelque chose de plus profond, qui le touche de plus près, pour le gagner. Rome doit lui faire appel, un appel irrésistible.

— Rome l’a fait, dit Colonna en levant les yeux sur celle qui lui parlait, et il hésita un instant.

— Et Rome l’a fait en vain, voulez-vous dire ? Non ; il y a eu un martyre, mais le sang de Felice a servi de baptême à l’Italie nouvelle. Au reste je ne pense pas à répandre son sang. N’eût été l’intrigue et la duplicité savoyarde, cette tentative n’eût jamais été nécessaire. Nous ne lui en voulons pas, du moins à présent, et nous pouvons lui faire de grandes offres. La révolution en France n’est jamais qu’une singerie de