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toute chose d’importance, et, qui plus est, elles ne changeront jamais ? » Et là-dessus il répète très fidèlement ce qu’on lui a enseigné, c’est-à-dire ce qu’un lord qui dispose de plusieurs millions par an doit professer par respect pour son rang et croire par intérêt. Seulement ces opinions, manquent un peu de fixité ; elles suivent invariablement la destinée de ses amours, elles naissent, meurent et revivent au gré des fantaisies de son cœur. Avec lady Corysande, il est pur anglican, il montre un attachement profond à l’église nationale, qui est à ses yeux le fondement de la société, l’honneur et le salut du pays. Avec Claire Arundel, qui est une catholique exaltée, il se met à l’école des jésuites, il assiste à ténèbres, il patronne des bazars, il s’éprend d’enthousiasme pour l’architecture religieuse, et veut consacrer quelques millions à faire élever au milieu de Londres une cathédrale catholique. Avec Teodora, dont la religion philosophique repousse toutes les religions où se retrouve la main de l’homme, et qui n’a d’autre culte positif que celui de la future république romaine, Lothaire n’est plus ni catholique ni anglican ; il dit adieu aux projets de cottages et de cathédrale ; l’argent qu’il y destinait, remis aux mains de Teodora, sert à acheter des fusils pour armer les volontaires de Garibaldi. Lui-même s’enrôle dans l’armée révolutionnaire, et tombe blessé sur le champ de bataille de Mentana. Après un tel pas, vous le croyez peut-être engagé sans retour. Détrompez-vous. Recueilli miraculeusement par Claire Arundel dans la foule des blessés apportés à Rome, soigné par elle, entouré de jésuites pendant sa maladie, circonvenu par leurs machinations perfides, il se laisse ranger parmi les héros de l’armée pontificale ; il figure, un cierge à la main, dans une cérémonie publique célébrée pour rendre grâces à la vierge Marie du miracle dont elle l’a honoré. Ce qui nous frappe ici, ce n’est pas, comme M. Disraeli l’a sans doute pensé, la profondeur des intrigues catholiques, c’est la niaiserie du jeune innocent qui s’y laisse enlacer. Ce qui confond, c’est qu’une fois revenu à la santé, loin de rompre avec les gens qui lui ont fait jouer impudemment un tel personnage, il n’a pas même la force de s’indigner contre eux. Il tombe si bas, il montre une telle faiblesse, qu’un de ceux qui ont le plus à cœur sa conversion, un Anglais catholique, lord Saint-Jérôme, finit par le prendre en pitié : sa fierté de gentilhomme se révolte de l’abaissement infligé à un pair d’Angleterre, sa délicatesse l’emporte sur son catholicisme, et il arrache Lothaire aux mains des jésuites.

Le roman porte pour épigraphe un mot de Térence où l’on pourrait être tenté de chercher la pensée de l’auteur. « Tout connaître, dit le poète latin, est salutaire à la jeunesse. » Lothaire, qui ne connaît rien encore, entre dans la vie avec toute la suffisance de son âge ; l’expérience ne tarde pas à châtier sa présomption, les