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un traité de théologie, ne peuvent suppléer dans un roman la passion absente.

On ne s’étonnera donc pas si la fable imaginée par M. Disraeli, malgré les développemens plus ou moins heureux qu’elle amène, nous laisse en général assez froids. M. Disraeli a pris pour théâtre l’olympe aristocratique dans lequel, il s’est complu de tout temps à placer ses histoires. Ce ne sont que lords, ducs et marquis. Ces personnages habitent des palais splendides, où tout est monumental, où l’art étale ses merveilles, où l’or, le bronze, le marbre et l’albâtre reluisent de toutes parts. Brentham, Vauxe, Belmont, Muriel-Towers, Crecy-house, sont des résidences telles qu’on n’en rencontre que dans les contes de fées. Les bals, les fêtes, les réceptions, s’y succèdent incessamment. On dirait qu’en décrivant sans ménager les couleurs le perpétuel enchantement de ces existences riches et oisives, M. Disraeli se propose d’écraser le commun des lecteurs condamnés au travail, de leur faire sentir toute la misère et la vulgarité d’une vie laborieuse. Eh bien ! c’est dans ce monde presque uniquement occupé de ses plaisirs, voué au culte de toutes les frivolités, qu’il cherche les avocats des diverses doctrines religieuses. C’est là qu’il prend son héros. Lothaire est un jeune lord qui réunit le double avantage d’un nom des plus illustres et d’une fortune immense. Lothaire, à la veille de pouvoir disposer de lui-même, car il est orphelin, est une puissance sociale, et l’on conçoit que l’église anglicane, dans laquelle il est né, et le catholicisme, qui espère le conquérir, se disputent avec acharnement ses préférences. Il a été confié aux soins de deux tuteurs, un lord d’Ecosse, qui est presbytérien rigoureux, et un Anglais devenu catholique, le cardinal Grandisson. La lutte s’engage dès le début à propos de l’éducation de Lothaire, et commence par une victoire que remporte le cardinal ; il obtient que Lothaire soit placé à l’université d’Oxford, dont le protestantisme mitigé est de nature à l’acheminer vers la vérité catholique. Lothaire n’est pas entré dans la vie, il est encore sur les bancs, que déjà tout le monde se préoccupe de sa croyance, les uns pour l’affermir dans le protestantisme anglican, les autres pour le gagner à la religion catholique. On l’obsède de conseils, on l’entoure de séductions et de flatteries, on dresse mille embûches sur sa route, et nous le voyons sur le point d’y tomber et de se laisser convertir. Il échappe néanmoins au péril, grâce au hasard plutôt qu’à sa volonté, et demeure fidèle à la religion dans laquelle il est né. Je l’en félicite ; mais je ne saurais, je le confesse, me passionner beaucoup là-dessus. Qu’il reste protestant ou qu’il devienne catholique, qu’il communie de la main de son chapelain anglican ou de celle du cardinal, je n’en puis être autrement ému. A voir avec quelle ardeur on s’agite autour de lui,