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politique ou de distinction aristocratique. On ne comprendrait pas qu’un système aussi détestable ait pu durer, si l’on ne savait que les deux classes qui ont jusqu’ici dominé au parlement, les propriétaires et les hommes de loi, croyaient avoir intérêt à le maintenir. C’est ici que la hache de la réforme devrait frapper à coups redoublés. Rien n’est plus facile que d’adopter l’excellent système d’enregistrement partout en usage sur le continent. En ce qui concerne la propriété, la publicité doit être imposée par la loi, parce qu’il s’agit non d’un intérêt privé, mais d’un grand intérêt national.

Les réformes que nous venons d’indiquer ne tarderont probablement pas à être décrétées ; mais, d’après M. Mill, elles ne suffisent pas. L’état devrait acheter des domaines et les revendre en parcelles, afin de créer une classe de cultivateurs propriétaires. Je n’examinerai pas ce plan, je veux seulement montrer, — et ce sera ma conclusion, — que nul n’aurait plus d’intérêt à le faire adopter que les lords.

Ce principe que tous les hommes sont égaux, aujourd’hui proclamé partout et inscrit en tête de toutes les constitutions, est une idée qui n’a jamais été bien définie, et dont il est impossible encore de prévoir les conséquences bonnes ou mauvaises. On l’a généralement entendu dans le sens d’une égalité de droit ; mais l’ouvrier répond : « Le droit m’importe peu, c’est le fait que je veux. » Tocqueville a décrit admirablement les progrès de l’égalité dans l’ordre politique ; il n’a pas aperçu et ne pouvait apercevoir clairement ce qui devait s’ensuivre dans l’ordre économique. C’est précisément ce point qui préoccupe aujourd’hui quiconque sait voir et comprendre. Une aspiration ardente vers un partage plus égal des produits du travail enflamme les classes laborieuses, et passe d’un pays dans un autre avec une rapidité inouïe. En Angleterre, elle agite et soulève les ouvriers, de l’industrie, et elle commence aussi à envahir les campagnes. Si ce mouvement continue, — et tout indique qu’il s’étend chaque jour, — les lois de la société actuelle seront menacées. En France, la situation sociale trouve une solide assiette dans la grande division de la propriété, émiettée aux mains de la nation, et l’on peut voir aujourd’hui que les lois révolutionnaires qui ont amené ce résultat étaient des mesures conservatrices. En Angleterre au contraire, la propriété foncière est en grand péril. C’est la bourgeoisie qui mène l’attaque avec un acharnement tel qu’il l’empêche d’être juste. Le débat sur l’Irlande vient de nous montrer le peu de valeur qu’auront dans la lutte des titres et des droits contre lesquels on fera valoir l’histoire, la science, l’intérêt général. Tandis que les idées d’égalité se répandaient, l’effet des lois était de rendre l’inégalité plus grande et plus