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constitutionnel, dit-on, et les substitutions sont nécessaires pour empêcher les grandes familles de se ruiner. Comme le fait remarquer M. Fowler, l’argument est peu flatteur pour les grandes familles. D’ailleurs une aristocratie fondée sur le mérite serait plus utile que celle qui n’a d’autre fondement que les majorats. Les inconvéniens de ceux-ci dépassent donc de beaucoup leurs avantages, Pour y porter remède, on propose de décider que tout propriétaire aura la pleine disposition de ses biens, qu’il pourra en disposer à sa guise par testament, mais sans pouvoir limiter entre les mains de son héritier le droit de disposer des immeubles qu’il lui aura légués.

La troisième cause qui empêche la petite et la moyenne propriété de naître, ce sont les frais et les dangers qui accompagnent tout achat de terre. Sur le continent, les actes de vente et d’hypothèque sont transcrits dans un livre ouvert à l’inspection de tous, parce que la publicité est d’intérêt général. On ne peut se figurer le chaos et les ténèbres qui règnent dans toute cette matière en Angleterre. L’enregistrement étant facultatif, la plupart des propriétaires ne font pas transcrire leurs titres parce qu’ils craignent de ne pas les avoir en règle. Déjà du temps des Saxons, les titres étaient inscrits dans le registre des cours de comté. C’est ainsi que les Normands ont pu si facilement rédiger le Domesday Book. Par suite du défaut de publicité et des inextricables complications des entails, rien n’est plus difficile que de savoir qui a droit de vendre un bien. En l’absence d’un titre parlementaire, aucun jurisconsulte anglais, dit-on, ne peut donner à un acquéreur l’assurance absolue d’être à l’abri de toute attaque. Or, grâce à la distinction entre la loi (law) et l’équité (equity), entre la juridiction in the court of common law et celle in the court of chancery, grâce à un système de procédure si compliqué et si absurde que les Anglais prétendent que nul étranger ne peut parvenir à s’en faire une idée, un procès pour un droit immobilier a de quoi faire perdre à un homme ordinaire la santé, la raison et la fortune. Aussi, avant d’acheter un bien, choisit-on un ou deux avocats qui passent des mois à examiner les titres du vendeur, tâche difficile, car ces titres sont rédigés dans un inintelligible jargon, et souvent ils remplissent des coffres et des chambres entières. Pour payer ces avis et pour se hasarder au milieu de ces chausses-trapes juridiques, il faut être riche et ne pas craindre de courir quelques chances. Par ce seul fait, la propriété est mise hors de la portée des cultivateurs et des classes moyennes. C’est un objet de luxe que se disputent les millionnaires qui veulent arrondir leurs domaines ou fonder une famille. On l’achète non comme un atelier de production, mais comme un moyen d’influence