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moralité, l’intelligence, pour devenir cet être morne, abruti, grossier, obscène, que nous dépeignent les rapports officiels, et auquel conviendrait encore l’effrayant portrait que Labruyère traçait du paysan français au temps de Louis XIV. Quant aux fermiers, ils sont généralement plus aisés et moins rançonnés qu’ailleurs. Ils ont de l’aisance, parce que pour exploiter une grande ferme il faut un grand capital. Pour la même raison, la concurrence pour la location des terres est moins vive, et n’élève pas la rente à ses dernières limites. En outre les grands propriétaires, étant très riches, sont peu exigeans, et souvent des rapports excellens existent entre eux et leurs tenanciers. Beaucoup de terres sont louées sans bail, at will, mais les locataires sont loin de s’en plaindre, comme en Irlande, l’ancien fermage se maintenant d’année en année précisément parce qu’il ne faut pas renouveler le bail. Cependant sur ces domaines trop nombreux, qui sont surchargés d’hypothèques ou négligés par le propriétaire, de longs baux avec une clause d’indemnité pour les améliorations seraient aussi nécessaires qu’en Irlande, afin de permettre aux locataires d’exécuter les travaux indispensables à une bonne culture. L’intérêt général réclame ici également une intervention de la loi. En Écosse, où l’agriculture est plus avancée qu’en Angleterre, les baux de 21 ans sont la règle, et les inconvéniens se font moins sentir.

Après avoir indiqué quelques-uns des maux qui résultent des latifundia, il importe de rechercher quel remède on peut y opposer. Nous avons vu que partout, sur le continent, la petite propriété gagne du terrain, et qu’un domaine se vendra plus cher en parcelles qu’en bloc ; c’est la preuve que les parcelles rapportent plus que le bloc, sinon l’opération serait ruineuse et ne se répéterait pas. En Angleterre même, d’après M. Caird, la petite culture est la plus productive de toutes, et, à mesure que les procédés agricoles se perfectionnent et demandent plus de capital, les grandes exploitations tendent à se morceler. Il y a vingt ans, en Écosse et en Angleterre, les fermes étaient généralement plus grandes qu’aujourd’hui. La concentration s’est donc opérée contrairement aux lois économiques par le seul effet des lois féodales. Ce point mérite d’être expliqué, parce que le remède apparaîtra aussitôt.

Il y a d’abord la loi de primogéniture, en vertu de laquelle les biens-fonds sont, à défaut de dispositions testamentaires, l’héritage du fils aîné. Le père peut, il est vrai, disposer de sa fortune sans nulle restriction ; mais c’est mal comprendre l’action des lois que de n’en voir que l’effet coercitif. Elles proposent un idéal de justice qui s’impose à la volonté libre comme la règle à suivre. De même qu’en France le père croirait être injuste en disposant en faveur de l’un de ses enfans de la quotité disponible, ainsi en Angleterre le