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terre : il serait le résultat des lois économiques. L’ouvrier agricole est partout le plus mal payé de tous, et, à moins qu’il ne soit propriétaire lui-même, il n’en peut guère être autrement, car, ne fournissant que de la force, il trouve pour concurrens d’autres agens qui livrent de la force à meilleur marché que lui, les animaux de trait et les chevaux-vapeur. Pour gagner son pain, il lutte non contre d’autres hommes, mais contre la brute ; il ne peut donc pas espérer être mieux nourri ni mieux logé qu’elle. Telle est la loi, tel est l’idéal auquel aboutiraient les sociétés en progrès, et qu’atteint déjà l’Angleterre. Au lieu d’une population de paysans propriétaires, indépendans, jouissant d’une modeste aisance parce qu’ils disposent de la rente, ayant le sentiment de la responsabilité parce que leur destinée dépend de leurs efforts, possédant une certaine intelligence parce qu’ils dirigent eux-mêmes leur culture, vous n’auriez plus qu’une tourbe de salariés aussi stupides et plus mal pourvus que les animaux domestiques, sans initiative parce qu’ils n’ont jamais à en exercer aucune, sans espérance parce qu’il n’y a point de situation meilleure à laquelle ils puissent s’élever, moins heureux certainement que l’esclave parce que celui-ci, représentant une valeur, est l’objet de plus de soins.

Plusieurs économistes, comme MM. Kay, Thornton, Leslie, Fawcett, avaient affirmé que les populations rurales de l’Angleterre étaient les plus malheureuses de toute l’Europe ; mais on ne les écoutait pas. Appartenant à l’école radicale, ils exagéraient, disait-on, des opinions préconçues leur faisaient voir la réalité sous de trop sombres couleurs. Récemment des rapports publiés par)des commissions royales d’enquête[1] ont révélé une situation si désolante, que l’opinion publique en a été atterrée. Le paupérisme dans les villes était connu, on l’avait sous les yeux, on s’y était habitué comme à un mal incurable avec lequel il faut vivre ; mais le paupérisme des campagnes, caché au fond des comtés, n’avait pas été retracé de façon à saisir les esprits. On l’oubliait volontiers pour ne se souvenir que des merveilles d’une agriculture chaque jour plus perfectionnée ; maintenant c’est une des questions qui occupent le plus l’opinion en Angleterre.

Il est généralement reconnu que le salaire de l’ouvrier rural est insuffisant pour satisfaire les besoins les plus essentiels d’une famille. Dans les comtés purement agricoles, ce salaire n’est que de 7 à 8 shillings par semaine (de 8 francs 75 à 10 francs) ; à proximité des lieux où s’exercent de grandes industries, il monte à 14 et 16

  1. First and second reports of the commissionners on the employment of children and women in agriculture, 1868-1869.