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simple fait, elle peut constituer un droit pour la partie du sol que l’on occupe réellement, mais on ne peut l’étendre à un vaste domaine qu’un seul homme n’a jamais pu occuper. » — « Donc, conclut le juge Longfield, le fondement de la propriété foncière est politique, non « éthique » (not ethical but political). L’utilité de la propriété, voilà sa raison d’être. Afin que la terre soit cultivée de la façon la plus avantageuse, il faut que le cultivateur soit assuré de jouir des fruits de son travail. A cet effet, la personne à qui l’usage de la terre est accordé doit en conserver la possession tout le temps nécessaire pour en tirer le plus de produits possible. Ce temps varie avec les progrès de la prévoyance et de l’art agricole. On comprend qu’il y ait eu un temps où les hommes ne portaient point leurs regards au-delà d’une année. Pourvu qu’ils pussent récolter ce qu’ils avaient semé, ils s’occupaient peu d’améliorations permanentes ; mais, les inconvéniens des répartitions du sol souvent renouvelées s’étant fait sentir, on a permis qu’un droit permanent s’établît, à la condition que ce droit restât soumis aux taxes et aux règlemens que l’état juge convenable de lui imposer. » Le juge Longfield s’efforce ici de justifier en théorie le domaine éminent de l’état, que la législation anglaise reconnaît en fait. D’autres, comme MM. Bright et Mill, ont ajouté que, l’étendue du territoire étant limitée, et les uns ne pouvant l’occuper sans en exclure les autres, il est injuste et dommageable que quelques grandes familles en retiennent héréditairement le monopole de façon à ne jamais permettre aux épargnes du peuple d’y trouver un placement honorable et sûr. Enfin M. Gladstone, dans son grand discours pour la présentation du bill agraire d’Irlande, a été jusqu’à contester le mérite du principe considéré comme la base du monde économique, la liberté des contrats, et il a soutenu qu’en ce qui concerne la disposition du sol, elle devait être réglementée par la loi. « La liberté des contrats, disait-il, a été en Irlande un grand mal ; mais, même dans un état de la société que nous considérons comme sain et normal, il n’est pas possible de permettre une liberté complète des contrats. La législation anglaise est remplie de cas d’intervention de l’état dans ce domaine, et le parlement se montre de plus en plus disposé à les multiplier. » Voilà des idées qui, exprimées non par des orateurs démagogiques, mais par les plus hautes autorités du royaume-uni, ont lieu d’étonner, et il faut avouer que ces principes ne sont pas plus rassurans pour la propriété féodale que ceux du droit traditionnel et de la jurisprudence établie.

Il y a longtemps que le danger s’est montré aux yeux des hommes clairvoyans. M. Leslie rappelle que déjà, lors de la discussion du reform bill en 1832, un jurisconsulte éminent, aujourd’hui membre