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du cœur et des organes génitaux, etc., sont ainsi des aberrations aussi tristes que fréquentes de la puissance évolutive.

Ces faits démontrent, ce semble, l’inanité de l’hypothèse d’un principe plastique disposant de l’ovule et de l’embryon, et les façonnant à son gré, conformément à une loi préméditée. Ils prouvent aussi que la naissance du nouvel être se compose d’une série d’épigenèses, au lieu de se réaliser, comme l’ont cru certains naturalistes, par la transformation successive de parties qui préexistaient dans l’ovule. La doctrine de l’emboîtement des germes ou de la préformation syngénétique, dans laquelle on admet que les germes de toutes les générations futures étaient contenus dans un œuf primordial, c’est-à-dire que l’ovule renferme en puissance tout ce qui existera plus tard dans l’organisme, cette théorie, défendue par Leibniz, Kant et plusieurs autres philosophes et naturalistes, est donc opposée à l’observation embryogénique.

Évidemment les phénomènes d’évolution et d’organisation sont soumis à une loi qui s’exprime par les limites imposées à l’évolution et par la forme imposée aux organes. Cette loi n’est pas invariable, l’étude des maladies et des monstruosités le prouve ; alors même qu’elle le serait, rien ne nous autorise à lui supposer une origine extérieure ou antérieure aux êtres vivans pas plus qu’à la déduire de la mécanique des atomes. Évidemment il y a dans la série des formations anatomiques une création graduelle et dans la série des fonctions physiologiques une direction visible, mais quelle témérité d’en inférer l’existence d’une idée créatrice et d’une idée directrice ! Avons-nous le droit de donner ainsi une réalité objective aux abstractions de notre esprit ? Comment d’ailleurs et par quelle analogie se représenter l’influence de telles idées sur les matériaux organiques ? La raison intrinsèque, suffisante et déterminante des phénomènes vitaux, on est obligé de le confesser après la démonstration qu’en donne M. Robin, gît dans les propriétés mêmes de la substance organisée. Ces phénomènes sont des équations d’un degré très élevé, des formules infiniment complexes dont ces propriétés sont les facteurs premiers, les termes irréductibles pour nous. Bref, les élémens anatomiques ont en eux-mêmes leur principe d’action et de direction, exactement comme les molécules minérales qui forment les cristaux ont en elles le principe de l’harmonie qu’elles engendrent. La forme extérieure, c’est-à-dire le contour, de même que la forme intérieure, c’est-à-dire l’organisation, sont l’une et l’autre la conséquence des principes d’énergie spontanée propres aux particules ultimes de la vie. Quant au principe de ces principes, à leur cause première, une nuit impénétrable nous en dérobe la vue.