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complétées au XVIIe et au XVIIIe siècle par une série d’hommes supérieurs, et dont les noms seuls rappellent une vie laborieuse et des œuvres éclatantes. Harvey prouve en 1619 la circulation du sang, après lui Wirsung démontre le conduit pancréatique, Pecquet les vaisseaux chylifères, Rudbeck et Thomas Bartholin les lymphatiques, Vieussens éclaire toute la névrologie. Plus tard Ruysch, Albinus, Haller, Boerhaave, Vinslow, Vicq d’Azyr, joignent le fruit de leurs recherches persévérantes aux résultats de leurs devanciers.

En résumé, l’anatomie descriptive du corps humain était à la fin du XVIIIe siècle dans un état de perfection notable. La disposition extérieure, la forme et les rapports des os, des muscles, des nerfs, des vaisseaux et des viscères étaient établis d’une façon positive et satisfaisante pour les besoins de l’art chirurgical. Grand fut l’étonnement des vieux anatomistes d’alors quand un homme de génie vint leur dire et leur prouver qu’une première moitié seulement de l’anatomie était connue, la moitié la plus superficielle et la plus grossière, et qu’une seconde moitié s’offrait aux investigations, pleine de difficultés et de surprises. Il s’agit précisément de l’anatomie générale et de Xavier Bichat, qui en est le fondateur. En effet, ces organes dont on savait les contours, l’arrangement et la topographie n’étaient connus qu’à demi. On en ignorait la texture, la composition intime, la fine trame. On n’avait point analysé les propriétés essentielles des membranes qui les constituent. Voilà l’objet de l’anatomie nouvelle créée par Bichat. Expérimentateur hardi et ingénieux autant qu’observateur habile et clairvoyant, également versé dans la connaissance de l’homme sain et dans celle de l’homme malade, penseur profond et lucide, infatigable et merveilleusement heureux dans la recherche méthodique des faits, mesuré et circonspect dans l’établissement des principes, unissant une compréhensive et large vue des choses à un sentiment très juste des difficultés et des périls de l’investigation chez les êtres organisés, esprit à la fois très positif et très élevé, ne manquant ni d’audace ni de noble ambition, ce grand homme était appelé peut-être à réformer définitivement la biologie, si la mort ne l’eût fauché à l’âge de trente-deux ans. Ses travaux inachevés ont suffi néanmoins à la perfectionner notablement en instituant la connaissance des tissus vivans. « Tous les animaux, dit Bichat, sont un assemblage de divers organes qui, exécutant chacun une fonction, concourent chacun à sa manière à la conservation du tout. Ce sont autant de machines particulières dans la machine générale qui constitue l’individu. Or ces machines particulières sont elles-mêmes formées par plusieurs tissus de nature très différente et qui forment véritablement les élémens de ces organes. » S’appuyant sur ce que ces divers tissus sont à peu près identiques