Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagnies tombèrent, à l’exception de deux, qui vivaient encore en 1868, et une multitude de fonctionnaires retraités engloutirent leurs économies dans ces imprudentes spéculations. Il ne faut pas conclure de ce désastre que la culture du thé soit perdue pour les Indes orientales. Elle se relèvera peu à peu de cette chute, et lorsque de meilleures méthodes seront mises en œuvre, que les cultivateurs auront acquis plus d’expérience, l’empire anglo-indien pourra joindre le thé à la liste de ses beaux produits et réaliser des bénéfices considérables.

Mais ces grandes entreprises agricoles, dont quelques-unes furent montées sur des échelles par trop étendues pour ne pas échouer ou subir un temps d’arrêt, ont rendu d’éminens services à l’empire. Elles ont poussé le gouvernement dans une excellente direction. Toutes ces sociétés financières, fondées pour donner à l’agriculture une si remarquable impulsion, réclamaient à grands cris des voies de communication. La plupart des membres du gouvernement colonial, qui étaient des actionnaires, avaient eux-mêmes un grand intérêt à ce que ces produits du sol, cultivés en vue de l’exportation, pussent facilement arriver aux différens lieux d’embarquement. Des compagnies se formèrent pour exécuter avec l’aide de l’état les routes de première classe qui se rattachaient aux lignes ferrées. La compagnie des chemins de fer des Indes orientales déploya de son côté une louable activité pour relier les chefs-lieux de province aux principaux ports de mer. Le 15 novembre 1868 a eu lieu l’ouverture de la section qui relie Delhi à Umbella, la résidence d’été du vice-roi, de sa cour et des hauts fonctionnaires de l’état. Le ministre des finances parle de dépenser en peu d’années, pour compléter le réseau des grandes lignes, la somme d’un milliard de francs indépendamment du concours des associations particulières.

Après les routes et les voies ferrées, les travaux les plus utiles et les plus urgens au point de vue des intérêts matériels, ce sont les canaux d’irrigation. Sur ce point, les Anglais ont à racheter une longue et criminelle négligence. Il a fallu, pour les rappeler aux sentimens du devoir, trois famines successives, en 1861, 1866 et 1868, qui ont fait périr 4 millions d’individus : la première dans les provinces du nord-ouest, la seconde dans le midi du Deccan, et la troisième dans la province d’Orissa. Dans le nord-ouest, les autorités locales ont courageusement lutté avec le fléau : elles ont fait des distributions quotidiennes de vivres à 80,000 personnes et donné de l’emploi à 143,000 ; mais la famine de la province d’Orissa, laquelle relève du gouvernement central, a fait ressortir les déplorables effets de la bureaucratie. Pendant que des milliers d’hommes tombaient d’inanition dans les rues et sur les grands chemins, les hauts fonctionnaires étaient allés passer l’été dans leurs villas des Alpes