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régions supérieures de cette société. Certes le moment n’était guère favorable pour entrer en relations diplomatiques avec une telle nation. C’est pourtant ce que voulut faire le gouverneur-général, sir William Denison, qui remplissait alors l’intérim entre lord Elgin et son successeur Lawrence. Il confia dans cette pensée à l’honorable Ashley Edin la mission de se rendre auprès du chef boutaniste. L’envoyé anglais partit dans le courant de novembre 1863, accompagné d’un personnel assez considérable et escorté d’une compagnie de 100 hommes. Bien que la distance à parcourir ne fût pas grande, ce pays n’ayant que 350 ou 400 kilomètres de longueur, le voyage prit plusieurs mois, et fut toute une odyssée dont l’issue n’eut rien de brillant. A chaque instant, le convoi était obligé de faire des haltes plus ou moins longues. Le pays étant trop accidenté pour qu’il fût possible de se servir de bêtes de somme, on dut engager un nombre considérable de coulies pour porter les vivres et les bagages ; mais ces porteurs jouaient toute sorte de tours, manquaient à l’appel le matin ou s’enfuyaient au beau milieu du jour, laissant leurs fardeaux sur les chemins. Les vivres faisaient souvent défaut. Il fallait alors aller en chercher à des distances considérables et attendre un retour qui n’était pas toujours certain. Le mauvais vouloir des autorités locales n’augmentait pas peu les difficultés de la route. A toutes ces épreuves, l’agent anglais avait à en ajouter une autre plus cruelle encore. Il se demandait parfois si ce pays avait un gouvernement central, et s’il ne poursuivait pas un ignis fatuus. Il eut été à désirer que ses pressentimens fussent des réalités. Bien des vies d’hommes et des dépenses eussent été épargnées. Enfin, après avoir longtemps marché ou plutôt erré dans ces contrées, il arriva le 15 mars 1864 à Pounakha, la capitale du pays et le lieu de résidence des deux autorités politique et religieuse, le deb rajah et le dhourma rajah. De nouvelles épreuves mille fois plus pénibles que les précédentes l’attendaient dans ces tristes lieux. La foule, qui entourait sans désemparer l’ambassade et son escorte, les insultait, les menaçait, leur jetait des pierres. Ils ne pouvaient pas sortir de leur camp sans être poursuivis, hués, maltraités. Les deux chefs furent sans égards pour le caractère dont était revêtu M. Edin. Ils le traitèrent avec le dernier mépris, renvoyant sa réception officielle de jour en jour, le faisant attendre ensuite pendant des heures à la porte du conseil, lui et les membres de l’ambassade, exposés aux intempéries d’un climat dangereux. Les nobles les traitèrent avec un superbe dédain, et l’un d’eux poussa l’indignité jusqu’à frotter la figure de l’ambassadeur avec une certaine pâte ; mais, si ces individus ignoraient les premiers élémens de la politesse, ils n’étaient pas pour cela dépourvus d’intelligence. Les deux chefs et leurs conseillers résolurent