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A une association marchande — dont elle ne veut sacrifier ni les privilèges ni les bénéfices, — se superpose un corps gouvernemental qui entre dans tous les rapports de la souveraineté et en exerce tous les droits. Elle légifère, entretient une armée et contracte dès alliances offensives et défensives.

Le moment était on ne peut plus favorable pour l’a compagnie des Indes orientales. L’empire musulman du grand Mogol[1], qui avait jeté un éclat si brillant et retenu sous sa domination les nombreux états dans lesquels s’était divisée la race hindoue, avait perdu tout son prestige et toute sa puissance. Tombé dans des mains de plus en plus débiles, il avait cessé d’être le centre de tant de royaumes. Il ne put retenir ses gouverneurs, qui se posèrent en princes indépendans, tout en lui laissant d’abord les honneurs et les titres de la souveraineté. Ainsi la carrière fut ouverte aux aventuriers de toutes couleurs qui cherchèrent à se découper des états dans ces espaces immenses et à s’arrondir ensuite en se faisant mutuellement la guerre. Cette anarchie, comme toutes celles qui ont affligé les peuples, ne pouvait pas durer indéfiniment. Quelle était donc la puissance qui devait relier tous ces membres épars et reconstruire un nouvel empire ? L’islamisme fournirait-il encore des hommes capables de se constituer en héritiers du trône des Mogols et d’en continuer la tradition, ou bien le christianisme viendrait-il, avec sa force d’expansion, sa haute intelligence et son énergie, coordonner toutes ces parties et leur fournir le point de ralliement dont elles avaient besoin ? À cette époque, deux puissances européennes occupaient déjà de solides positions dans ces contrées éloignées, la France et l’Angleterre. Si le gouvernement de Louis XV eût eu à cœur la prospérité et la grandeur de la France, il est probable que nous aurions pu présenter à ces nombreux états Te drapeau autour duquel ils se seraient ralliés. Les grands travaux, l’énergie, le dévoûment de Dupleix et de Labourdonnais, l’avaient entouré d’un prestige considérable ; mais, au lieu de les seconder avec vigueur et de fournir à Dupleix les moyens d’achever son œuvre, on sait comment le cabinet de Versailles abandonna lâchement l’un et l’autre avec la plus complète insouciance de l’honneur et des intérêts français.

Une fois seule, la compagnie indo-britannique put se déployer à l’aise au milieu de cet éparpillement des provinces de l’empire mogol. Une multitude de circonstances propices lui prêtèrent leur concours, et contribuèrent à son agrandissement : les guerres

  1. Voyez sur les derniers jours de l’empire mogol les travaux, de M. Théodore Pavie dans la Revue des 15 août et 1er novembre 1858,15 janvier et 1er février 1859.