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lui-même. Sans grande confiance dans cette intervention suprême dont il avait éprouvé plus d’une fois la faiblesse, le comte résolut pourtant d’y avoir recours, car enfin à quoi bon le secret et l’argent employé pour l’entretenir, si on laissait détruire, cette fois sans retour, le centre de forces et le noyau d’amis dévoués que ce plan caché avait eu pour unique but de constituer ? Une dernière fois le comte tenta de se faire entendre en se jetant en quelque sorte aux pieds du souverain en personne par une lettre directe (comme il avait l’autorisation de le faire dans les grandes occasions) ; cherchant à le prendre par tous ses côtés faibles et tous ses points sensibles, il plaida la cause de l’indépendance polonaise avec l’éloquence du désespoir. Dans une démonstration d’une évidence saisissante, il fit voir que le roi Auguste tombait peu à peu et sans résistance à l’état de simple vassal de la Russie, et que son fils, le prince électoral, était à ses côtés tout prêt à accepter le lendemain de sa mort la couronne déjà humiliée des Jagellons à de plus humbles conditions encore. N’y avait-il donc, ajoutait-il, aucun moyen d’enlever le monarque saxon à cette main de fer qui l’enserrait chaque jour plus fortement ? Il n’était plus temps, hélas ! de parler des compensations territoriales qu’autrefois il avait conseillé de lui offrir. La mauvaise fortune de la France ne se prêtait plus à de telles perspectives ; mais au moins on pouvait faire appel à son orgueil royal en tâchant de le concilier avec son sentiment paternel. Si le prince électoral était odieux aux Polonais comme le représentant d’une domination étrangère, si un autre des jeunes princes, le prince Charles, était lui-même entièrement gagné par la Russie, qui lui faisait espérer le grand-duché de Courlande, un troisième restait, le prince Xavier, doué du plus heureux naturel, tout particulièrement aimé de sa sœur la dauphine, bien vu des Polonais, dont il avait su imiter les mœurs et ménager les préjugés. Pourquoi, disait le comte, ne pas choisir hardiment celui-là, le désigner d’avance comme le roi futur de Pologne, et grouper autour de lui les amis de la France, qui se prêteraient à tout, pourvu que le joug moscovite fût éloigné de leur tête ? Tout serait ainsi concilié, les susceptibilités de la république et les intérêts légitimes de la maison régnante. Un mot suffisait ; mais ce mot, il fallait que le roi le dît, car Bernis ne le dirait jamais.

« J’envoie, disait-il en terminant, à M. l’abbé de Bernis plus de cent pages d’apologie qui pourraient bien ne lui faire d’autre effet que d’ennuyer le conseil, si on les lit. Je n’ai guère d’autre ressource que la justice de votre majesté ; pourvu que je sois sûr qu’elle daigne être contente de mon travail et de mon zèle, il ne me restera rien à désirer, et quant au fond même des affaires je me jette à ses pieds