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qu’on donne ici à votre excellence dans ce qui se passe. On mande des provinces que l’activité de la cour de Vienne à réparer ses pertes et à repousser son ennemi au moment où tout paraissait désespéré doit vous être attribuée, et c’est un fait qui doit passer à la postérité. » Le même courrier de Varsovie apportait au comte une lettre de son vieil ami Braniçki le grand-général, qui, saisissant l’occasion de sa présence à Vienne pour faire valoir d’anciens droits qu’il croyait avoir au collier de la Toison d’or, ajoutait : « Je vous prie de m’accorder une recommandation qui sera puissante, attendu qu’on doit à votre excellence l’obligation de l’heureux changement survenu dans les affaires de l’impératrice-reine, ce qui porte l’admiration qu’on a pour votre excellence au plus haut degré[1]. »

Cette lettre se rencontrait bien avec la pensée du comte, car en réalité il ne s’était donné tant de peine et ne songeait à profiter du crédit momentané qu’il en avait retiré que pour obtenir de l’Autriche en faveur des Polonais quelque chose de plus et de mieux encore que de vaines décorations à passer au cou de leurs grands seigneurs : un peu d’égard, s’il était possible, pour leur indépendance, un peu de ménagement pour leur dignité ; mais dès qu’il essaya de toucher ce point délicat soit avec l’impératrice, soit avec le ministre, dès qu’il mit en avant la nécessité de peser sur la cour de Russie pour tempérer les rigueurs inévitables du passage d’une armée en campagne par la Pologne, à la froideur avec laquelle cette ouverture fut reçue, aux réticences, aux efforts pour détourner la conversation, en un mot à l’air maussade qui vint remplacer le sourire de ces visages naguère si radieux, il s’aperçut bien que le parti était pris de ne tenir aucun compte de ses avis. On ne voulait à aucun prix se faire une affaire à Saint-Pétersbourg pour d’aussi faibles alliés que les Polonais, et il comptait que toute la reconnaissance dont on le flattait n’aurait pas raison de ces calculs prétendus profonds de la politique. Cette découverte, dont il s’était bien un peu douté d’avance, le rejeta dans le découragement dont le bruit et le succès des opérations militaires l’avaient tiré ; ce sentiment perce dans une lettre écrite au roi lui-même le 30 juin, à la veille de quitter Vienne.

« Quoique j’aie été comblé des bontés de leurs majestés impériales et très fêté par leurs ministres, je dois cependant dire qu’on trouve ici dans les affaires des difficultés infinies que la hauteur, si j’ose dire, et le peu de zèle des ministres multiplient à chaque instant. Leur abattement dans l’adversité et leur arrogance dans la

  1. M. Durand au comte de Broglie, 29 juin, 4 juillet 1157. (Correspondance officielle, ministère des affaires étrangères.)