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du maréchal Daun, ne se montait pas à plus de 60,000 hommes. C’était vraiment la dernière carte de la monarchie, et on hésitait à la risquer contre un vainqueur maître du jeu, très supérieur en nombre, et que les généraux autrichiens avaient perdu l’habitude de regarder en face.

Dans cette extrémité périlleuse, l’arrivée d’un officier français chargé d’une mission de confiance de son maître n’aurait jamais passé inaperçue ; mais il se trouvait de plus que cet officier était un diplomate déjà renommé et en outre le fils du général français qui dans la guerre de la succession, s’était d’abord emparé de Prague par un coup de main, puis, bloqué à son tour par les armées impériales, y avait soutenu un siège demeuré fameux par l’énergie de la défense. Le comte lui-même, tout jeune encore, avait servi sous les ordres de son père pendant ces alternatives d’attaque et de résistance. Il connaissait parfaitement la configuration des lieux, et dans la première audience qu’il eut de l’impératrice il raisonna sur la durée possible du siège, sur les ressources des assiégés et les avantages des assaillans en homme qui se rendait un compte exact de la situation des deux armées. Marie-Thérèse, charmée de trouver un bon conseil et un esprit de sang-froid au milieu de la consternation universelle qui l’entourait, le pressa de questions, insista pour qu’il s’entretint avec les principaux membres de son conseil, et ceux-ci, le trouvant beaucoup plus au fait qu’eux, s’empressèrent à leur tour de solliciter ses avis. Le comte résista un peu à ces instances, se fit presser et prier, allégua son ignorance de l’état de l’armée autrichienne ; mais, en définitive, trouvant là une occasion d’employer l’activité infatigable de son esprit tout en se mettant bien en cour auprès de l’amie de Mme de Pompadour, il se décida sans trop de peine à prolonger un peu sa présence à Vienne. Huit jours n’étaient pas écoulés qu’il s’était laissé charger de mener à bien la jonction des deux armées, et qu’il était installé à la chancellerie impériale en qualité de ministre de la guerre officieux, tout comme il avait été l’année précédente le chef d’état-major bénévole du roi de Pologne. Chaque soir, l’impératrice lui demandait son avis par écrit qu’elle faisait passer au maréchal Daun, et à plusieurs reprises elle pressa le comte de Broglie de se rendre à l’armée, offrant de lui donner voix dans le conseil de guerre, et même voix prépondérante en cas de partage.

« L’impératrice-reine et le comte de Kaunitz (écrivait-il le 25 mai à M. Durand, résident de France en Pologne, pour lui expliquer l’arrêt de son voyage) m’ont fort pressé de prendre cet arrangement, et ont de plus désiré que j’entrasse dans l’examen des opérations auxquelles il convient aujourd’hui de se décider, ainsi que des instructions à envoyer à M. le prince de Lorraine à Prague