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désolent toutes les contrées du monde à la fois ; mais ce qu’il y a de particulier et de plus grave peut-être dans cette crise qui se dessine si malheureusement, c’est qu’il s’agit cette fois de l’alimentation des bestiaux. Les prairies sont desséchées, les fourrages artificiels meurent sur pied ou ne peuvent pas même germer. Les régions les plus favorisées ont souffert cruellement de ces trois mois d’un beau temps inexorable. La conséquence naturelle, c’est qu’on entrevoit le moment où l’on ne pourra plus nourrir les bestiaux qui servent à la culture, les troupeaux qui servent à alimenter les populations. Si l’on garde les animaux au risque de les nourrir comme on pourra, les maladies viendront peut-être dépeupler les parcs et les étables ; si on les vend à vil prix, comme c’est inévitable, c’est une perte immense de capital, perte pour ceux qui sont réduits à cette extrémité, perte pour la fortune agricole tout entière. On vend pour rien, on sera plus tard obligé de racheter à des prix démesurés. Le fléau d’aujourd’hui s’étend de proche en proche, et d’avance menace l’année prochaine. Le ralentissement de la production des bestiaux pèse tout à la fois sur le travail et sur l’alimentation publique ; tout s’enchaîne. On ne guérira pas tout le mal qui est déjà fait ou qui peut survenir encore. On peut tout au moins essayer de le neutraliser en favorisant de grands approvisionnemens au dehors et en se préparant à profiter du premier moment où un peu d’eau rendra sa fécondité à la terre. Le gouvernement, nous le savons bien, s’est prêté à certains palliatifs qui lui ont été demandés dans le corps législatif, et qui peuvent être d’un secours momentané et partiel ; il a permis l’entrée des bestiaux dans les forêts de l’état et même dans les forêts de la couronne. Le ministère de l’agriculture, de son côté, a publié une instruction pleine sans doute de fort bonnes choses, que malheureusement les paysans ne liront guère. On prend des mesures avec les chemins de fer pour la facilité des grands transports et la réduction des tarifs. À vrai dire, la faute a été de ne pas songer plus, tôt à ce qu’on voyait venir, et l’erreur du gouvernement est de se reposer quelquefois trop volontiers sur des instructions vagues et générales que ses agens transmettent avec une activité moins dévorante que s’il s’agissait des monitoires plébiscitaires. Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que, si on a perdu des mois jusqu’ici, il n’y a plus maintenant une heure à perdre ; il faut s’armer de toutes les ressources dont on dispose pour aider les populations à triompher de la crise actuelle, et en même temps il faut songer à prévenir des fléaux semblables par tous les grands travaux d’irrigation, de canalisation, qui sans doute ne suppléeront jamais entièrement à l’action féconde de la nature, mais qui peuvent préserver à demi de ces meurtrières calamités.

Il faut nourrir l’homme ou l’aider tout au moins à gagner son pain de tous les jours. C’est le premier soin des hommes publics, des assemblées, des gouvernemens, de s’occuper des affaires de la terre ; le con-