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avec une arrière-pensée toute politique, dans un intérêt purement politique, sans s’inquiéter de l’importance d’une question qui se trouve ainsi sacrifiée, subordonnée à tous les calculs des partis. Chose bizarre, il y a six mois le ministère, alors dans la ferveur de son avènement, nommait une commission de décentralisation ; dans cette commission se trouvaient réunis des hommes de bonne volonté qui mettaient en commun leurs lumières et leur expérience. Ils ont fait ce qu’on leur demandait, ils ont étudié la décentralisation, ils ont préparé des projets, ils ont rassemblé d’utiles élémens d’étude, puis quand ils ont eu fini, on a mis soigneusement les procès-verbaux de leurs séances aux archives, et le jour où l’on présente au corps législatif une loi sur les maires, on ne parle même pas de ces travaux, on ne trouve pas dans le budget quelques milliers de francs pour mettre au jour l’enquête qu’on avait demandée ! Le président de la commission, l’honorable M. Odilon Barrot, s’est plaint du procédé, et il avait quelque peu raison. Mais quoi ! on avait assez de la commission de décentralisation, le ministère n’avait plus à s’occuper de cela, le corps législatif était pressé, et c’est ainsi qu’on perd assez souvent son temps à multiplier les études, dont on finit par ne pas profiter, tout comme on passe des mois à préparer laborieusement des lois qu’on finit par ne pas voter. Au fond, ces détails de la vie de tous les jours n’ont qu’un sens : ils prouvent qu’il ne faut pas se faire illusion, que ce régime parlementaire qui s’inaugure en est encore à prendre le caractère sérieux qu’il doit avoir, que ministère et corps législatif font leur apprentissage quelquefois aux dépens des questions mêmes qu’ils sont chargés de résoudre dans l’intérêt du pays.

Le corps législatif va un peu à l’aventure dans ses travaux, le ministère ne conduit pas la chambre, et a de la peine assez souvent à se conduire lui-même, tout cela est certain. C’est encore une période de transition ; mais enfin le régime parlementaire existe, et lorsque ce souffle nouveau s’élève en France, lorsqu’un sentiment de réparation semble renaître de toutes parts, qu’y a-t-il d’étonnant que des princes qui ont grandi et vécu dans cette atmosphère parlementaire tournent leurs regards vers le pays où ils sont nés, s’adressent au corps législatif en demandant qu’on leur rende leurs droits de citoyens français ? Nous ne savons pas ce que le corps législatif fera de la pétition où les princes d’Orléans expriment le désir de rentrer en France, et nous ne voulons pas même chercher ce qu’en pense le gouvernement. Ce que nous savons, ce que l’empereur actuel a dit mieux que personne lorsqu’il était lui-même proscrit, c’est que l’exil est le plus insupportable supplice pour des âmes bien nées, et que l’heure devrait être venue où il n’y aurait plus d’exilés. Lorsqu’il y a vingt-deux ans le gouvernement provisoire de la république s’adressait au patriotisme de M. le duc d’Aumale et de M. le prince de Joinville en les suppliant en quelque sorte de ne rien faire pour se réserver la fidélité des soldats ; qui étaient sous leurs