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Quoi qu’il en soit du moment précis, à l’époque de la craie[1], l’influence de la latitude est devenue absolument nulle en Europe ; du nord au midi de ce continent, on rencontre indifféremment les mêmes formes, dont la situation plus ou moins boréale en Moravie, en Saxe, en Silésie, en Westphalie ou dans la Suède méridionale ne se traduit par aucun caractère appréciable ; mais en même temps que l’on constate cette égalisation, on constate aussi un autre phénomène qu’il est indispensable de mentionner, puisqu’il donné peut-être la clé de tout le reste : la température ne semble plus augmenter ; elle tend à devenir stationnaire, ou du moins à osciller dans de certaines limites. Une chaleur analogue à celle des tropiques submerge alors toutes les latitudes, elle se propage jusque dans l’extrême nord ; mais elle ne dépasse pas en intensité le degré nécessaire pour faire végéter des palmiers et des pandanées, et avant ces végétaux des cycadées, des fougères et des araucarias, c’est-à-dire des plantes qui sont loin d’exiger un degré de chaleur supérieur à celui de la zone torride actuelle.

Le Groenland a encore fourni à M. Heer une preuve de l’égalisation des climats à l’époque de la craie. Une flore de cet âge a été observée à Rome, dans le golfe d’Omenak, par 70° 40’ latitude. Ce sont en grande partie les mêmes espèces qu’en Saxe, en Bohême et en Moravie. Des deux parts, on rencontre des bois de palmier, des cycadées, des fougères tropicales, auxquels viennent, il est vrai, s’associer des plus et même des sapins. Cette association appuie l’opinion qui admet l’existence d’une chaleur modérée plutôt qu’excessive. Malgré tout, on ne saurait voir sans surprise ce mélange singulier des cèdres et des sapins avec les formes caractéristiques des régions chaudes ; il n’a du reste rien de local ni d’exceptionnel, et se présente assez fréquemment à cette même époque sur divers points de l’Europe. Il est vrai également qu’à mesure que l’on s’enfonce dans le passé, les paysages, à force de se modifier, prennent enfin une physionomie étrange, quelque chose de bizarre et d’inachevé dans les traits qui nous transporte en plein inconnu. C’est ainsi qu’en nous éloignant, toujours davantage du temps présent, nous pénétrons dans ce que l’on pourrait justement nommer le moyen âge de l’histoire du globe. L’âge jurassique présente ce caractère à un très haut degré. L’égalité climatérique devient alors manifeste ; elle ressort de l’observation des animaux comme de celle des plantes. Les reptiles, dont la classe dominait à cette époque, réclament une grande chaleur extérieure ; elle seule, à défaut de

  1. La période de la craie précède la période éocène, de même que la période jurassique précède celle de la craie.