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comparaison de ce qu’ils étaient alors. La plupart, réduits à un mince filet d’eau, se sont creusé un sillon au milieu des déjections de l’ancien lit. Les berges actuelles montrent sur leur tranche des lits horizontaux de sable, d’argile et de cailloux roulés ; comme ces lits se correspondent exactement d’un bord à l’autre, il est aisé de rétablir leur continuité et de reconstituer l’ancien fleuve. On reconnaît souvent alors qu’il remplissait la vallée entière, là où son courant cache maintenant à un niveau inférieur le volume amoindri de ses eaux. Il en est ainsi non-seulement du Rhône et du Rhin, qui descendent des Alpes, mais encore de la Seine, de la Somme et de leurs moindres affluens. L’Yonne, aujourd’hui faible rivière, a charrié autrefois jusqu’à Auxerre des blocs entraînés des hauteurs du Morvan. La Crau de Provence n’est que l’embouchure du Rhône primitif ; elle s’étendait sans discontinuité des environs d’Istres et de Fez jusque dans l’Hérault. Sur tout cet espace, d’énormes cailloux roulés de quartzite alpin attestent la puissance des anciennes eaux. Quelle force d’impulsion ne leur fallait-il pas pour remuer et polir de pareilles masses et les mouvoir, sur un plan très peu incliné, à plus de soixante lieues de leur gisement d’origine ! Ce n’étaient pas seulement les courans, c’étaient encore les sources qui répondaient à cette extrême abondance des eaux. Un ingénieur de mérite, M. Belgrand, a remarqué que, même aux environs de Paris, où le climat est demeuré relativement humide, leur point actuel d’émergence était toujours inférieur au niveau du surgissement primitif ; leur volume est aussi bien diminué, et le premier phénomène est la conséquence du second. En effet, on conçoit que les sources en s’affaiblissant coulent toujours en contre-bas de l’endroit où elles jaillissent, lorsqu’elles sont dans toute leur force. Sur tout le sol français, dans l’Europe méridionale et jusqu’en Algérie, les anciennes sources, déchues de leur puissance, ont laissé des vestiges grandioses de ce qu’elles ont été ; ce sont les dépôts de tufs qu’elles ont accumulés. Ces tufs constituent parfois de véritables montagnes ou de vastes-plateaux. L’abondance des eaux était alors universelle. Les mêmes phénomènes, plus marqués encore par le contraste de l’état antérieur avec l’état actuel, ont été observés en Égypte, en Syrie et en Arabie, régions où de nos jours les pluies sont rares ou même inconnues. Qui n’a entendu parler des fleuves sans eau des déserts égyptiens ? M. Louis Lartet a signalé dernièrement de nombreux indices d’anciennes sources et d’anciens courans sur le rivage occidental de la Mer-Morte[1]. L’abaissement successif du niveau de cette mer est uniquement dû à la pénurie

  1. Géologie de la Palestine. — Annuaire des sciences géologiques, I, p. 328.