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et bientôt maîtres du parlement (1640). À ce spectacle, la peur le prit. Par crainte des révolutions, il défendit l’absolue souveraineté du roi, et par crainte de l’avoir défendue, quoiqu’il n’eût pas imprimé sa défense, il s’enfuit d’Angleterre et se réfugia dans sa chère Lutèce. Il resta, onze ans sur le continent, au grand détriment, dit-il, de sa fortune. La seconde année, il imprima, mais à un petit nombre d’exemplaires, son premier ouvrage philosophique, le De cive, qui devait former plus tard la seconde section de ses Éléments de philosophie. On y trouve à peu près toute sa doctrine morale et politique ; la haine de l’anarchie l’avait conduit à la haine de l’humanité. Ces entraînemens de l’esprit systématique ne peuvent surprendre les hommes de notre temps. A Paris, ses liaisons se resserrèrent avec Mersenne et Gassendi. Il paraît même qu’alors, il entra en commerce épistolaire avec Descartes. Cependant il ne reste point de trace de cette correspondance, qui roulait sur des questions traitées dans la Dioptrique. On sait seulement que Descartes dit de lui dans une de ses lettres : « Je le trouve plus habile en morale qu’en métaphysique et en physique, quoique je ne puisse nullement approuver ses principes ni ses maximes, qui sont très mauvaises et très dangereuses, en ce qu’il suppose tous les hommes méchans ou qu’il leur donne sujet de l’être. Tout son but est d’écrire en faveur de la monarchie, ce qu’on pourrait faire plus avantageusement qu’il n’a fait, en prenant des maximes plus vertueuses et plus solides. Il écrit aussi fort au désavantage de l’église et de la religion romaine, de sorte que, s’il n’est particulièrement appuyé de quelque faveur puissante, je ne vois pas. comment il peut exempter son livre d’être censuré. » On verra que la crainte de Descartes n’était pas sans fondement ; mais la froideur, la défiance avec laquelle il l’exprime, et qu’il retrouve toutes les fois qu’il parle des rapports possibles de la libre pensée et de l’autorité ecclésiastique, s’accordent mal, on l’avouera, avec l’opinion de ceux qui veulent faire de lui un catholique au cœur soumis et respectueux.

On a écrit aussi que Hobbes avait vu Descartes. Il faudrait que ce fût hors de France, car ce dernier n’y rentra plus ; mais Hobbes pourrait avoir accompagné en Hollande le prince de Galles. Deux ans en effet avant la mort de Charles Ier son fils, avec un cortège de royalistes fugitifs, avait cherché un asile en France (1646). Hobbes s’était rapproché de cette émigration monarchique. L’année suivante, il réimprimait à Amsterdam, avec des retouches, son De cive, dont la première édition n’avait été distribuée qu’à des amis. Deux lettres de Mersenne et de Gassendi prouvent combien ils admiraient l’ouvrage et en souhaitaient la réimpression ; elles sont adressées à Sorbière, leur ami, qui donna ses soins à cette édition, fit même exprès le voyage de Hollande, et compléta bientôt l’œuvre