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de l’empereur. La police impériale était assez bien organisée pour qu’il n’eût pas lieu d’en être trop surpris ; mais ces délations l’irritaient au plus haut degré, et il était porté à s’en prendre aux Français qui faisaient partie de sa maison. Comme pourtant les preuves directes lui manquaient, il se croyait obligé de ruser avec eux pour les éloigner l’un après l’autre. Il semble qu’il ne se promettait de vraie sécurité que le jour où il n’en resterait plus un seul auprès de lui. C’est ainsi que l’on vit successivement s’éloigner M. de Sénégra, grand-maître de sa maison, qui dut se retirer devant les taquineries systématiques dont il était l’objet ; le comte d’Arjuzon, son grand chambellan, qui accompagna les restes du prince royal à Paris, et, une fois arrivé là, reçut des instructions qui équivalaient à l’ordre de ne pas revenir ; l’adjudant du palais, M. de Fontenelle, qui fut envoyé à Leeuwarden avec le titre de commandant de place et mourut dans cette espèce d’exil ; M. de Caulaincourt, qui sollicita l’ambassade de Naples pour avoir un prétexte plausible de quitter la cour de Hollande, l’obtint, mais donna sa démission à Paris[1] le grand-maréchal du palais de Broc, dont la femme était une grande amie d’Hortense, qui fut envoyé en Espagne pour complimenter le roi Joseph, et qui apprit à Madrid qu’il était relevé de ses fonctions. Il serait difficile de disculper entièrement le roi de tout reproche de sournoiserie dans la conduite de toutes ces affaires personnelles. D’autre part la justice veut que l’on se souvienne des difficultés dont sa position était hérissée, et dont en définitive il se tirait à son honneur en Hollande même ; mais s’y prenait-il comme il aurait fallu pour trouver grâce aux yeux de Napoléon ?

Les autographes reproduits par M. Jorissen, sans ajouter des faits nouveaux à ce que nous connaissons déjà, ont pour nous cet intérêt qu’ils nous donnent une idée de l’attitude adoptée par le roi dans ses rapports avec l’empereur. Il n’est pas possible de se faire plus humble, plus soumis, plus découragé. On voudrait, pour la dignité du royal correspondant, le voir un peu moins agenouillé devant son frère, d’autant plus que cette extrême humilité recouvrait un fonds de résistance très opiniâtre, et qu’étant donné le caractère de Napoléon, il est permis de croire qu’un langage plus ferme, plus net, aurait produit sur lui plus d’effet. Voici, par exemple, ce que Louis écrivait à son frère à la date du 27 juillet 1806, après s’être confondu en excuses sur l’idée qu’il avait elle de désigner un ambassadeur à Paris avant d’avoir obtenu l’agrément de l’empereur :

  1. C’était le frère du marquis de Caulaincourt, le diplomate bien connu du premier empire. Il reprit en France le service militaire, devint général de division, et fut tué à la bataille de la Moskowa.