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qu’ils ont reçues pour la patrie, les talens distingués qui les rendent recommandâmes, je ne dis pas pour tous, mais pour les trois quarts ? Beaucoup ont été recommandables dans le parti anglais et sont la cause des malheurs de leur patrie. Fallait-il les maltraiter ? Non, mais tout concilier. Moi aussi, j’ai des émigrés près de moi ; mais je ne les laisse point prendre le haut du pavé, et lorsqu’ils se croient près d’emporter un point, ils en sont plus loin que lorsqu’ils étaient en pays étranger, parce que je gouverne par un système, et non par faiblesse. »


On peut voir par de pareilles lettres le mépris absolu que Napoléon professait pour les droits des nationalités étrangères. Quant à ce qui regarde personnellement son frère, nous inclinerions à penser que, sous ces algarades continuelles, il y avait chez l’empereur un certain mécompte dont souffrait l’affection à demi paternelle que naguère encore il vouait à Louis. Son extrême irritation trahit parfois de la déception. Évidemment il croyait avoir envoyé en Hollande un roi intelligent, mais sans volonté propre, tout à lui, ne proposant d’autre but à son ambition que d’exécuter ponctuellement sa consigne. Au contraire le roi de Hollande, une fois assis sur son trône, avait oublié qu’il était connétable de France ; il avait ses propres idées, son propre système, il épousait la nationalité qu’il aurait dû affaiblir, il voulait être sérieusement roi, et, tout en aidant son frère dans la mesure de ses ressources, il entendait bien ne pas franchir les limites qu’imposaient à son concours les intérêts du peuple sur lequel il régnait. Les deux frères ne se comprenaient pas. Napoléon ne reconnaissait plus le cadet soumis, craintif, effaré, dont il avait toujours fait ce qu’il avait voulu. Leur idéal de gouvernement différait en principe : celui de l’empereur était essentiellement militaire, celui du roi était surtout civil. A certains égards, Louis Bonaparte était un esprit bien plus moderne que Napoléon.

Nous avons dû précédemment porter au compte des fautes ou du moins des faux calculs du roi de Hollande son empressement à créer des ordres de chevalerie, des maréchalats, des titres de noblesse. Ces créations prématurées, peu goûtées des Hollandais eux-mêmes, qui n’aiment guère le clinquant, devaient naturellement indisposer l’empereur ; mais que d’injustices dans ses mercuriales touchant le système de gouvernement suivi par son frère ! Peut-on blâmer un prince de ce qu’il cherche à se faire aimer de ses sujets ? Il reprochait aussi à Louis de s’entourer uniquement d’orangistes, grief sans fondement. Ni Gogel, ni van der Goes, ni le jurisconsulte van Gennep, qui possédait toute la confiance de Louis en matière de législation, ni Kraijenhof, son ministre de la guerre favori, ni bien d’autres notabilités de son entourage, n’appartenaient à l’ancien