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N’étant justiciable d’aucun tribunal local, la commission européenne a recours à l’arbitrage en cas de contestation entre elle et des particuliers. L’article 3 de l’arrangement stipulé avec la Turquie disposait « que les consuls établis sur le Bas-Danube ne pourraient s’immiscer ni dans les affaires qui se rattachent directement à l’exécution des règlemens publics émanés de la commission, ni dans les rapports de celle-ci avec ses employés. Des réserves seront faites à cet égard dans les exequatur délivrés par la Sublime-Porte auxdits agens consulaires. » L’on n’a pu toutefois s’entendre sur l’application de cette clause, quoiqu’elle ait été unanimement approuvée.

Toutes ces prérogatives, contraires au droit commun et qui tendent à constituer un véritable état dans l’état, peuvent paraître exorbitantes, si l’on n’en cherche l’origine que dans les énonciations générales du traité de Paris. En se plaçant à ce point de vue étroit, l’on s’étonne sans doute de la transformation qu’a subie la commission déléguée sur le Bas-Danube en 1856 ; mais, si l’on prend en considération les circonstances exceptionnelles où les agens européens ont dû accomplir leur mandat, l’on se convaincra que l’indépendance à laquelle ils ont aspiré dès leur début était légitime et nécessaire. Ils ont d’ailleurs mérité la confiance de leurs commettans, et les privilèges dont ils jouissent depuis plus de douze ans ont essentiellement concouru au succès de leurs travaux.

Le congrès international récemment réuni au Caire a exprimé le vœu que le canal de Suez fût neutralisé. Quelques publicistes sont allés plus loin en réclamant pour la compagnie qui a présidé au percement de l’isthme une autonomie analogue à celle dont jouissait autrefois la compagnie anglaise des Indes ; comme celle-ci, elle aurait son territoire propre, ses finances spéciales et ses lois. Il ne nous appartient pas d’examiner ici la portée pratique de cette idée ; mais, si les circonstances en justifiaient un jour l’adoption, peut-être trouverait-on dans les faits que nous venons de relater quelques précédens dignes d’attention.

Nous ne pouvons terminer cet exposé sans mentionner une dernière et importante disposition à laquelle est subordonné l’entretien des ouvrages comme le développement des réformes administratives qui constituent l’œuvre du congrès de Paris. Il paraît urgent d’écarter les difficultés politiques qui ont empêché depuis 1857 la convocation de la commission riveraine du Danube. La commission européenne, à la veille de se dissoudre, doit d’autant plus se préoccuper de sa succession qu’elle laissera des dettes payables à longues échéances.


ED. ENGELHARDT.