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qu’aujourd’hui. En résumé, la race, le culte, les iniques règlemens commerciaux ont aggravé le mal ; mais la constitution vicieuse de la propriété en est la cause première et principale. C’est l’alpha et l’oméga de la question.

Il est encore une coutume particulière à l’Irlande qu’il faut faire connaître pour qu’on puisse comprendre le land-bill, la loi agraire, que la chambre des communes vient de voter. Cette coutume, c’est le tenant-right, le droit du tenancier, qui est généralement en vigueur dans l’Ulster, et qui existe aussi dans certains domaines des autres provinces. Voici en quoi il consiste. Le propriétaire n’ayant pas exigé tout le fermage que la concurrence lui aurait fait obtenir ; le fermier jouit d’une partie de la rente naturelle du sol, et cet avantage, il croit pouvoir le vendre. C’est comme une sorte de copropriété. Il est entendu qu’il ne peut être expulsé aussi longtemps qu’il paie exactement le loyer. Il n’est pas interdit au propriétaire d’augmenter le fermage ; mais il ne peut le faire que dans la mesure où les bénéfices du fermier augmentent, de façon à ne pas diminuer la valeur du droit de celui-ci. En cas de vente du tenant-right, l’acquéreur doit être agréé par le propriétaire ; mais celui-ci ne doit pas refuser son consentement sans de bons motifs. S’il lui est dû un arriéré sur le fermage, il peut le prélever sur le prix payé par l’acquéreur. Ce prix varie extrêmement ; il dépend évidemment de la modération des exigences du propriétaire et de la part de la rente qu’il abandonne au locataire. Il s’élève parfois jusqu’à 500 francs l’acre. Moins la propriétaire est exigeant, plus le droit d’occuper sa ferme a de valeur. Dans ce que le fermier entrant paie, une partie représente le prix des améliorations effectuées ; le reste est pour le good-will, pour la « bonne volonté » du fermier sortant qui permet à l’autre d’occuper sa place.

Le tenant-right de l’Ulster ressemble beaucoup à ces baux héréditaires qui, sous le nom de beklem-regt en Hollande, d’aforamento en Portugal, de livello en Italie, et sous une foule d’autres désignations, ont existé à peu près partout en Europe au moyen âge. Seulement ce qui est particulier à l’Irlande, c’est que la coutume n’a rien de défini ni de légal. Le propriétaire peut restreindre ou anéantir la valeur du tenant-right en augmentant peu à peu le fermage. C’est ce qui s’est fait dans ces dernières années, paraît-il. Beaucoup d’acheteurs de terres des encumbered estates l’ont supprimé radicalement. D’autres l’ont racheté aux locataires, afin de rentrer dans la pleine possession de leurs propriétés.

On n’est pas d’accord sur l’origine ni sur les effets du tenant-right. D’après M. Sharman Crawford, il provient de ce que les propriétaires ont accordé aux colons de l’Ulster une sorte de bail