Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec confiance au-devant de ses sujets. A Paris, on lui avait affirmé qu’il était désiré par un grand nombre, ce qui était faux, accepté par presque tous, ce qui était vrai en un certain sens, et il avait assez bonne opinion de lui-même pour espérer que cette acceptation, plus résignée qu’enthousiaste, se changerait peu à peu en affection dévouée. Le voyage ne fut marqué par rien de saillant. On put toutefois signaler l’extrême empressement des catholiques ou plutôt du clergé à venir protester de leur dévoûment à un prince qui professait leur religion. Cela était naturel. Les catholiques néerlandais devaient l’égalité civile à la révolution de 95, mais en fait ils étaient loin de posséder dans les administrations et les conseils de l’état une part de pouvoir proportionnée à leur importance numérique. Le personnel instruit manquait dans leurs rangs ; ils ne se rendaient pas compte de cette circonstance, à laquelle on ne pouvait rien, et posséder un roi de leur communion, un roi qui pratiquait, qui arrivait muni d’un confesseur, c’était pour eux comme une garantie que l’état d’infériorité où ils se voyaient encore maintenus ne tarderait pas à cesser. D’autre part, ce côté de la question, auquel on avait à peine songé dans le premier moment, ne laissait pas d’inspirer des inquiétudes vagues à la majorité protestante. Ce n’était pas tant du roi catholique, c’était de son entourage que l’on se défiait. On craignait de voir se former à l’ombre de son trône quelque nid d’intrigues dont la religion serait le prétexte, la domination cléricale le but réel. Cependant le catholicisme paraissait en ce temps-là si affaibli comme puissance politique, que ces craintes n’eurent pas grand écho. C’était bien plutôt l’idée qu’il fallait subir un roi, et un roi d’origine étrangère, qui jetait du froid dans l’accueil fait au nouveau souverain. Tout néanmoins se passa convenablement. Les magistrats apportèrent les clés des villes dans des plats d’argent et complimentèrent de leur mieux leurs majestés dans un français laborieux. A Rotterdam, on ne traversa point la ville, on la contourna pour se rendre à La Haye, où l’on arriva le soir du 18 juin 1806. La municipalité avait érigé quelques arcs de triomphe avec des devises emphatiques. Les historiens hollandais assurent qu’on offrit de l’argent à la pauvre corporation des porteurs de tourbe, pour les décider à dételer la voiture du roi et à le traîner en triomphe à travers les rues de La Haye, mais que tous refusèrent. Ce qui est certain, c’est que le premier accueil de la population fut glacial. Le cortège royal traversa la ville vers neuf heures du soir entre deux rangs de soldats, dont les acclamations commandées retentirent à peu près seules. Peu ou point d’illuminations privées ; beaucoup de maisons même avaient fermé leurs fenêtres, comme si elles eussent pris le deuil de la vieille république. Hortense, habituée à