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étaient, dit-il, déposées dans le cabinet de la chancellerie d’état, au palais même, et déjà emballées dans une cassette pour être, au premier jour, expédiées sous escorte en Pologne. L’avis fut mis à profit sans délai. Un matin, en s’éveillant, la reine apprit que la garde suisse, chargée de veiller à sa sûreté personnelle, avait été pendant la nuit expulsée de ses postes par un détachement de troupes prussiennes. Des factionnaires, placés à toutes les entrées du palais, avaient pour consigne de ne laisser ni entrer ni sortir personne des papiers à la main. Mandé aussitôt devant la reine, l’officier prussien qui commandait le détachement exhiba un ordre de son maître qui lui enjoignait de se faire remettre, au besoin par la force, les clés des portes et des armoires de la chancellerie. La reine, au comble de la surprise, appela sur-le-champ tous les conseillers d’état, et leur demanda ce qu’elle devait faire. Tous furent d’avis qu’aucune résistance n’était possible. Elle ne consentit cependant à la remise exigée qu’après avoir apposé elle-même de sa main son propre sceau sur toutes les ouvertures. Le Prussien la laissa faire, mais aussitôt après joignit son propre cachet au sceau royal ; puis il se retira pour porter les clés au camp de Sedlitz, à quelques lieues de la ville, où le roi de Prusse les attendait.

Dès le lendemain, il était de retour avec de nouveaux ordres. Ce n’étaient plus les clés seulement qu’il lui fallait, c’étaient certains papiers désignés, enfermés dans telle cassette, qui devaient se trouver dans tel lieu. Cette fois la reine, outrée, déclara que la mesure était comble, et qu’on n’obtiendrait rien d’elle. Elle s’asseyait sur la cassette, et défiait qu’on mît la main sur elle. « On eut beaucoup de peine, dit Frédéric, à lui faire comprendre qu’elle ferait mieux de céder par complaisance pour le roi de Prusse, et de ne pas se raidir contre une entreprise qui, quoique moins mesurée qu’on ne le voudrait, était cependant la suite d’une nécessité absolue. » Cette scène de larmes et de violence dura plus d’une heure. Enfin la malheureuse princesse céda, et le soir même Frédéric reçut le trophée de son ignoble victoire, le secret arraché à une femme par un soldat[1].

« Le premier usage, dit-il lui-même, qu’on fit de ces archives fut d’en extraire la pièce qui est connue du public sous le nom de mémoire raisonné. » C’était un long plaidoyer rédigé par lui-même, et dont le but était de prouver à l’Europe, titres en main, que son attaque n’avait eu d’autre intention que de prévenir des complots déjà ourdis contre lui par le roi de Pologne. Ce document subsiste encore, et chacun peut se donner le plaisir et l’édification de le lire à la suite de l’histoire de Frédéric. Depuis le réquisitoire, raisonné aussi, du

  1. Geheimnisse des sächsischen Cabinets, t. II, p. 32 à 35 ; Frédéric, Histoire de la guerre de sept ans, ch. IV.