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rapprochement des deux armées ne fit naître entre leurs avant-postes quelques bisbilles. Que voulait donc l’impérieux capitaine, que tant de condescendance ne semblait pas contenter ? Un simple passage à travers la Saxe, ce qu’on appelait, dans le langage du droit public germanique, un transilus innoxius ? Évidemment non, car, sa nouvelle province de Silésie confinant à la Bohême par une vaste frontière, il pouvait sortir de chez lui tout à son aise, sans avoir le moindre besoin de passer chez autrui[1].

Ce qu’il voulait, on put s’en douter lorsque, ayant obtenu sans peine le droit de passage, au moment où il commençait à l’opérer sans permission, on le vit tranquillement occuper le pays, comme s’il en eût été le maître ou le conquérant, démanteler les forteresses, lever des contributions, s’emparer des deniers qui se trouvaient dans les caisses publiques et mettre aux arrêts les officiers ou les fonctionnaires qui faisaient mine de résister à ces étranges procédés. Aux réclamations épouvantées du roi de Pologne, Frédéric répondit sans s’émouvoir qu’il était plein d’affection pour un si grand prince, mais que le soin de sa propre sûreté l’obligeait de prendre ses précautions contre les noirs complots d’un premier ministre devenu l’instrument de ses ennemis. Seconde, puis troisième ambassade du pauvre roi, jurant qu’il n’y avait dans son fait, pas plus que dans celui de son ministre, la moindre trace ni de complot ni de noirceur, et offrant, sous la forme d’une convention de neutralité, toutes les garanties qu’un belligérant pouvait désirer. Point d’autre réponse à ces propositions que le même mélange de plaintes vagues et de violences effectives. Le ministre d’Angleterre lui-même, lord Stormont, qui, sur la demande du roi de Pologne, consentit à se rendre au camp prussien, ne put rapporter aucune parole claire. Enfin, au bout de quinze jours d’allées et de venues, Frédéric consentit à s’expliquer. Ce qu’il lui fallait, ce n’était ni un simple passage de troupes, ni même une simple neutralité ; c’était l’incorporation des troupes saxonnes dans sa propre armée, en les soumettant d’abord à la formalité préalable de lui prêter serment de fidélité à lui-même. « Grand Dieu ! s’écria en bondissant l’envoyé saxon, pareille chose est sans exemple dans le monde. — Croyez-vous, monsieur ? répliqua le roi. Je pense qu’il y en a, et quand il n’y en aurait pas, je ne sais si vous savez que je me pique d’être original…- Enfin telle est ma condition. Il faut que la Saxe coure la même fortune et le même risque que mes états. Si je suis heureux, le roi de Pologne sera dédommagé de tout, et je songerai à ses intérêts autant qu’aux miens, et pour le qu’en dira-t-on, nous enjoliverons le traité de quantité de bonbons… Faites bien

  1. Goheimnisse des sächsischen Cabinets, t.1, p. 350-370, 380-385.