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LA PRINCESSE TARAKANOV.

sa beauté, l’imposante dignité de ses manières, l’éloquence avec laquelle elle exposait ses desseins, l’entouraient d’un singulier prestige. Il existe à Raguse une noblesse qui prétend remonter au moins à Charlemagne et que son ancienneté a rendue de tout temps fort dédaigneuse ; cette noblesse briguait avec ardeur l’honneur d’être présentée à son altesse. Il ne planait aucun soupçon sur la situation de la princesse, et personne n’eût osé douter du succès de son entreprise, à tel point qu’un voyageur qui revenait du Monténégro s’étant permis de parler d’elle en termes qui ne parurent pas assez respectueux, Domanski lui adressa aussitôt un cartel, et, après s’être battu, ce voyageur dut, quoique légèrement blessé, quitter précipitamment Raguse pour échapper à de nouveaux défis.

Le firman que Radzivil avait demandé depuis plusieurs mois pour se rendre au camp de l’armée turque était attendu d’un moment à l’autre. Par malheur, l’année 1774, fatale aux souverains, puisqu’elle vit mourir à peu d’intervalle le roi Louis XV, le pape Clément XIV et le sultan Mustapha III, avait amené au trône un prince qui n’avait rien de l’ardeur belliqueuse de son prédécesseur. Le sultan Abdul-Hamid-Khan était d’un caractère pacifique et doux. De plus l’empire était ébranlé à l’intérieur par les révoltes successives et les velléités d’indépendance de plusieurs pachas. Le trésor était si épuisé que le sultan n’avait pu payer aux janissaires le djulous-aktchèci ou denier d’avènement. C’est pourquoi la Porte avait très froidement accueilli les ouvertures de Radzivil et ne se pressait pas de répondre à des auxiliaires qui demandaient d’abord de l’argent. On apprit, au milieu de l’été, que le général Romanzof avait passé le Danube, et qu’il était parvenu à séparer le séraskier Muhsin-Zadé de Varna, où étaient ses magasins ; la nouvelle arriva peu de jours après que le séraskier, abandonné de son armée, venait de conclure la paix à Kaïnardji, en Bulgarie. Cet événement renversait tous les calculs de Radzivil. Il avait espéré, sans doute avec raison, que sa présence et celle de ses compagnons, l’agitation fomentée en Pologne par la confédération, qui renouait alors ses liens à Landshut, l’explosion du patriotisme polonais, dont son arrivée dans le camp turc devait donner le signal, imprimeraient à la guerre un nouvel élan. Il était d’ailleurs persuadé que le nouveau règne qui s’inaugurait en France, plus sérieux et plus honnête que celui de Louis XV, aurait à cœur de réparer l’abandon où la Pologne avait été laissée et de profiter des circonstances pour intervenir en sa faveur, sinon par les armes, au moins par la diplomatie. La paix anéantissait ce plan, et Radzivil ne cacha pas qu’il n’espérait plus rien du côté de la Turquie.

La princesse, au lieu de partager son découragement, affectait