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longues heures durant, les oreilles fatiguées d’un perpétuel babil qui ne peut se comparer qu’au bruit du moulin que l’eau fait tourner ; encore celui-ci sert-il du moins à quelque chose d’utile.

Moi qui comptais parmi mes petits bonheurs d’hier celui de n’avoir point aperçu la secoureuse brevetée ! Peut-être, pensais-je, elle aura compris que je ne voulais pas de ses soins ni de ses conseils. Hélas ! je ne la connaissais pas encore. Ce matin, comme j’étais occupée d’écrire mes lettres, j’entendis son pas sur l’escalier, et bientôt elle entra comme un orage.

— Quoi ! une correspondance ? Vous fatiguer ainsi, malheureuse ! Mais ne vous ai-je pas dit que vos nerfs ont besoin de repos et de distraction ? Et qu’ai-je appris, imprudente enfant ? vous êtes allée hier sur le Kuchelberg ! Aussi je viens pour vous empêcher d’essayer de nouveau un pareil suicide. Venez avec moi, je vous apprendrai comment doit se faire ici la cure d’eau. Oui, oui, je vois bien que cela vous dérange, que vous espériez ne plus me revoir ; mais on ne peut abandonner à elle-même une jeune fille comme vous. Soumettez-vous seulement à mes directions, venez, et bientôt vous aurez lieu d’en être reconnaissante.

Machinalement je pris mon chapeau et me disposai à lui obéir en dépit de ma mauvaise humeur. Elle m’emmena tout en continuant de parler, et me conduisit au jardin d’hiver ; on appelle ainsi la partie du Wassermauer la plus abritée contre le vent par les hautes murailles du couvent, et dans laquelle se trouvent quelques arbres verts entremêlés de rosiers en fleurs. C’était déjà plein de monde ; la musique jouait, et toute la société des malades occupait les bancs. On paraissait m’attendre, car il me fallut répondre aux politesses empressées ainsi qu’aux questions inspirées par la curiosité seule à toutes ces personnes, pour moi tout à fait indifférentes. Pas une figure vraiment sympathique, pas une parole qui m’allât au cœur. J’étais exaspérée, non-seulement contre mon officieuse persécutrice, mais aussi contre toutes mes semblables. Il y avait entre autres une jeune femme qui avait dû quitter son mari et ses enfans pour venir chercher ici le calme le plus absolu. Cependant les tristes pensées qui devaient la préoccuper ne l’empêchèrent pas d’examiner du haut en bas ma toilette, fort démodée il est vrai ; puis elle s’enveloppa d’un air dédaigneux dans son burnous de cachemire, lorsque je m’assis près d’elle. Enfin, me traitant bientôt comme une vieille connaissance, elle se mit à me raconter tous les commérages de la ville, tandis que son regard de mourante me faisait mal. Les hommes ne sont-ils donc que des figures de cire ou des automates qui jouent leur rôle jusqu’à ce que, le ressort s’arrêtant, on les replace dans leur caisse ?

Ce fut une délivrance pour moi quand la cloche du dîner se fit