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triomphe passager, tenterait ce pas en arrière en serait immédiatement puni. Toutes les baïonnettes du monde ne le pourraient sauver : il en mourrait dans les six mois.

S’ensuit-il que du premier coup le gouvernement provisoire ait atteint la perfection absolue de la loi électorale? Non, sans doute. Le suffrage universel, c’est le principe; la loi électorale n’est que l’application. Le principe, il est aujourd’hui, nous l’avons dit déjà, hors de toute discussion. L’application, elle est au contraire essentiellement discutable, modifiable et perfectible, et c’est là ce qui justifie le mot de réforme électorale. C’est dans ce sens du moins que nous déclarons l’entendre, et c’est dans ce sens aussi qu’ont dû le proférer les voix nombreuses qui, depuis quelques mois, le jettent aux échos de la presse et de la tribune. Chose remarquable, c’est la gauche, c’est le parti avancé, c’est-à-dire la portion des électeurs qui devrait plus que toute autre se tenir pour satisfaite de la simple universalité du droit de vote, qui a pris l’initiative du mouvement de réforme. C’est que l’expérience triomphe de toutes les illusions; c’est qu’en présence des résultats du système actuel, il est impossible de ne pas reconnaître que l’application trahit le principe, et que la forme légale du suffrage dénature dans sa source même la représentation nationale.

Par malheur, on sent le mal plutôt qu’on ne s’en rend compte : on souffre, et l’on se plaint sans avoir bien pris le temps de pénétrer les causes de la souffrance et d’en étudier les remèdes. Quels sont en effet les griefs que l’on articule? La pression administrative, directe ou déguisée, voilà le principal chef d’accusation. L’administration fait voter à sa guise tous ceux qui ont le malheur d’être en sa dépendance; l’administration violente ou corrompt les consciences; l’administration, en taillant arbitrairement les circonscriptions électorales, viole les intérêts les plus légitimes, entrave la liberté de l’électeur, et brise comme il lui plaît les chances des candidats.

Voilà ce que l’on dit, et on a raison de le dire; mais est-ce bien là tout? Allons au fond des choses. Tous ces griefs en somme reviennent à ceci : le suffrage n’est pas libre. Si c’est là toute la maladie électorale, que faut-il pour la guérir? Simplement rendre à l’électeur sa pleine liberté. Et comment y parvenir? En régénérant l’administration, en faisant table rase des candidatures officielles, en coupant court à toute ingérence du gouvernement, quelle qu’elle soit, dans le choix des représentans de la nation. — Rien de mieux; mais d’abord le remède n’est pas si simple qu’il le paraît. De bonne foi, où trouvera-t-on jamais un gouvernement assez indifférent à sa propre conservation pour se désintéresser absolument du choix