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la terre et la mer, enveloppa Caprée et le promontoire de Misène. La cendre tomba bientôt en très petite quantité il est vrai, et força les fugitifs à reprendre leur marche. Pline se retournait de temps en temps, croyant voir une épaisse fumée se répandre comme un torrent et le poursuivre. En effet il se trouvait avec sa mère en dehors du grand chemin, qu’ils avaient quitté de peur d’être écrasés par une multitude que la terreur rendait folle. Les ténèbres devinrent telles qu’il fallut s’arrêter et s’asseoir ; ces ténèbres ressemblaient non pas à une nuit sans lune, mais à l’obscurité d’une chambre hermétiquement close, où toutes les lumières auraient été éteintes. Les gémissemens des femmes, les pleurs des enfans, les cris des hommes qui s’appelaient sans se voir, les prières adressées aux dieux complétaient cette scène lugubre. Tout à coup une lueur éclata ; elle annonçait non le jour, mais l’approche du feu, qui pourtant, ajoute Pline, s’arrêta loin de nous.

Il est évident que le jeune Pline a été trompé par des phénomènes d’optique tout à fait nouveaux et pour sa vue et pour le raisonnement, qui complète ou redresse instantanément chez l’homme les perceptions de la vue. Ce feu dont il parle est au sommet du Vésuve, et ne lui paraît proche que par sa grandeur et sa rapidité à se développer sur une vaste étendue ; c’est l’effet de la fantasmagorie qui fait paraître un objet lumineux plus rapproché de nous à mesure qu’il est agrandi par un verre grossissant. L’éruption étant entrée dans une phase nouvelle, la pluie de cendres cessa quelque temps, la cime du Vésuve se dégagea, et l’on vit tout à coup cet embrasement, qui pouvait avoir deux causes : ou bien la vapeur d’eau avait reformé d’immenses nuages que colorait la réverbération de la lave incandescente qui remplissait le cratère, ou bien il y avait eu une émission de gaz inflammables qui s’étaient frayé un chemin à leur tour, et qui, au contact de l’air, prenaient feu et éclairaient le ciel.

La journée avançait ; après un intervalle, les ténèbres se reformèrent, et la pluie de cendres recommença si drue et si lourde qu’elle chargeait les vêtemens, forçant les gens assis à se lever et à se secouer de temps en temps ; autrement ils auraient été ensevelis et comme écrasés sous le poids[1]. La cendre volcanique en effet est plus pesante que la cendre ordinaire, parce qu’elle contient une grande quantité de tuf pulvérisé. Quant à la partie la plus légère, elle fut emportée jusqu’à Rome ; Dion Cassius et d’autres historiens l’attestent, et ils ajoutent que le ciel s’obscurcit et que l’on se crut à la fin du monde. Rome n’est pas assez éloignée du Vésuve, à vol d’oiseau, pour que le fait soit révoqué en doute,

  1. Operti atque etiam oblisi pondere.