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activement poussée aussi par le ministre anglais à Dresde, sir Charles Hanbury Williams, dont l’habileté diplomatique était renommée. L’intérêt que l’Angleterre portait à cette négociation était naturel. Ayant pied elle-même sur le territoire germanique par la possession de l’électorat de Hanovre, que la maison de Brunswick avait joint à la couronne britannique, rien ne lui importait plus que d’établir à travers l’Allemagne et jusqu’aux limites de la Russie une chaîne d’états hostiles à la France, dont elle aurait tenu dans sa main le premier anneau. Une fois la Pologne engagée dans cette ligue, la Prusse se trouvait bloquée dans le nord et sans communication avec la France, qui était rejetée vers le midi, tandis que les plaines qui bordent la Vistule offraient aux troupes russes un chemin tout ouvert pour pénétrer jusque dans le cœur même de l’Europe.

Le danger était trop visible et trop sérieux pour ne pas frapper même les yeux les plus prévenus. De gré ou de force, les ministres français durent bien convenir que la neutralité au moins, sinon l’alliance effective de la Pologne était utile à ménager, et il fut convenu que le nouvel ambassadeur recevrait pour instruction de s’opposer par tous les moyens à l’accession de la Pologne au traité de Saint-Pétersbourg. Pour agir dans la diète, il n’y avait toujours qu’un moyen : c’était le vieil expédient de créer ou du moins de ranimer dans les rangs de la noblesse qui composait cette assemblée un parti favorable à la France. Or de là à préparer pour un jour éloigné l’élection au trône d’un candidat français, il n’y avait qu’un pas aussi facile à franchir qu’à dissimuler. Les deux politiques, officielle et confidentielle, se trouvaient ainsi par le fait inopinément rapprochées l’une de l’autre, et le même homme pouvait les pratiquer sans se mettre en contradiction trop apparente avec lui-même. Il n’y avait plus d’opposition directe entre les deux lignes de conduite, il y avait seulement une différence dans le degré d’activité avec laquelle chacune d’elles devait être suivie. Le moment était donc tout à fait opportun pour révéler le secret à un ambassadeur. Restait le confident à choisir; ce fut Conti qui s’en chargea. Il proposa au roi d’appeler au poste vacant un gentilhomme qui n’avait encore figuré qu’à la guerre, mais dont l’esprit piquant était fort apprécié des habitués du Temple. C’était Charles-François, comte de Broglie, second fils du dernier maréchal frère du duc de ce nom, et lui-même, bien qu’âgé de trente-deux ans à peine, déjà brigadier des armées du roi.

Le lecteur pense bien que je ne vais pas me donner le ridicule et lui imposer l’ennui d’établir ici la généalogie en règle de la famille à laquelle appartenait le nouvel ambassadeur. Cependant la situation de cette famille à la cour et dans l’état ayant eu, comme on