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par lui dans deux cavernes de Belgique. M. Worsaae a donné des détails sur les os humains cassés et à demi rôtis qui se trouvaient dispersés au milieu d’un grand nombre d’autres dans un dolmen. Tous deux, bien que faisant les plus amples réserves, ont paru pencher vers l’opinion que c’était bien là des restes de repas d’anthropophages. J’avais d’abord été plus explicite. Après avoir examiné avec soin les os de cuisse et de jambe éclatés en long et à demi carbonisés à une de leurs extrémités qu’on a retirés du tumulus de Borrebye, je regardais le fait comme à peu près démontré. J’ai dû revenir à la pensée contraire à la suite des remarques présentées par M. Steenstrup. Ce sagace observateur avait constaté d’abord que, sous l’action seule des agens atmosphériques, les os longs de tous les mammifères se fissurent et se divisent en fragmens allongés ressemblant, à s’y méprendre, à ceux que produit une percussion méthodique. Une collection fort nombreuse d’os empruntés à diverses espèces et présentant tous les degrés de cette division spontanée ne peut laisser de doute sur ce point ; toutefois dans ces fragmens naturels la tranche reste droite et lisse d’une extrémité à l’autre. Au contraire, dans les éclats artificiels enlevés sur un os frais, elle présente toujours, à l’endroit qui a reçu le coup, une portion oblique et écailleuse que M. Steenstrup a produite directement, qu’il a retrouvée sur une foule de fragmens osseux retirés des kjœkkenmœddings et d’ailleurs. Le fragment cassé par la main de l’homme porte donc avec lui son certificat d’origine.

Par conséquent, pour être en droit d’affirmer qu’un os humain a été cassé afin d’en manger la moelle, une inspection minutieuse des fragmens est nécessaire ; il faut retrouver la trace du coup. Cette épreuve demandée par M. Steenstrup doit être rigoureusement exigée. Elle manque, je crois, à la plupart des exemples cités comme attestant l’anthropophagie de nos ancêtres. Pourtant cette objection ne paraît pas devoir s’adresser à un travail récent présenté par M. Garrigou à l’Académie des Sciences de Paris[1]. Ce persévérant explorateur de nos cavernes méridionales a eu en main les objets recueillis par M. Regnault, de Toulouse, dans la grotte de Montesquieu-Avantes. Ces pièces provenaient d’un ancien foyer qu’avait recouvert une couche de stalagmites. Les os humains, mêlés à ceux de divers ruminans, sont cassés de la même manière ; chez les uns et les autres, on distingue la trace de l’instrument contondant qui les a fracassés à côté des stries laissées par les instrumens tranchans qui avaient servi à détacher la chair. Chez l’homme comme chez les animaux, le canal médullaire a été agrandi, comme si on l’avait

  1. Comptes-rendus hebdomadaires, 24 janvier 1870.