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REVUE DES DEUX MONDES.

Pauline, de son naturel, de sa grâce, ou bien des récriminations et des boutades. En telle lettre, il se défend en la trompant, « Quand on peut commettre une infidélité, c’est comme si on l’avait commise, disais-tu. Que c’est vrai et profond ! Aussi je t’aime fidèlement et t’idolâtre avec la constance la plus absolue. Le cœur tranquille, je pourrai te voir apparaître chez moi tous les jours de la vie ; je serai toujours digne de ton amour. Oh ! quelle jouissance pour un cœur sensible et aimant de sacrifier ainsi sans cesse à son amour ! » À quelques jours de là, c’est un billet rempli de fureurs jalouses. « Tu m’as trahi, tu m’as trompé, sacrifié à toute impulsion de tes passions… Après une série de scènes aussi douloureuses, fallait-il que je fasse si profondément blessé par toi ! »

Avait-il le droit cependant d’être si blessé des reproches de Pauline, et n’avait-elle pas quelque raison de se plaindre de ses inconstances ? Elle supportait l’amour idéal que son amant professait pour Rahel, parce qu’elle aimait Rahel et qu’elle la savait incapable de lui enlever l’amour de Louis-Ferdinand. Elle n’ignorait pas que le prince avait une liaison avec Henriette Fromm ; mais elle croyait que c’était là une union qui devait être bientôt dénouée. Le prince n’en eut pas le courage. Malgré la Béatrice et la belle Olympia qui remplissaient son cœur, il ne pouvait se résoudre à se séparer de Thérèse. Cette situation, comme cela arrive aux hommes les plus vrais quand ils se sont laissés aller sur cette pente de l’amour double, le forçait à mentir malgré sa loyauté native. Peut-être aussi se consolait-il en répétant avec Shakspeare : « Jupiter se rit des parjures d’amoureux. » Quoi qu’il en soit, au moment même de ces protestations à l’adresse de Pauline, il écrivait à la mère de ses enfans sur un ton qui trahit une affection réelle[1] :


« Ma charmante amie, ma lettre arrivera bien matin, tu dormiras encore, petite paresseuse, tes jolis yeux ne seront point ouverts encore ; peut-être un rêve heureux t’occupera de ton ami. Ah ! puisse-t-il l’avoir peint à ton imagination tel qu’il est, plein d’amour et de tendresse pour toi, et que le réveil de mon Henriette soit rempli de sensations douces ! »


Il va même jusqu’à lui faire croire qu’il évite « Mme "Wiesel » et qu’il a refusé d’aller à une soirée d’amis pour ne pas la rencontrer. « Oh ! bonheur inexprimable de sacrifier quelque chose à ce que l’on aime ! » Cette lettre, qui a été trouvée en original dans les papiers de Pauline, doit être tombée entre ses mains par mégarde. Il y a en effet dans la correspondance, qui manque tout à fait de dates, de nombreuses traces de scènes de jalousie que Pauline fit à son amant. On le voit aux abois, ne sachant plus comment se tirer d’affaire.

  1. La lettre est en français.