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l’auteur écrivait. C’est un programme de politique libérale que le ministère et les partis peuvent étudier avec fruit. Le duc de Broglie débattait avec lui-même dans le silence qui régnait alors, toutes ces questions de réformes nécessaires qui sont devenues depuis le thème banal des polémiques, et chemin faisant il semait les traits fins, les vues justes et pénétrantes ; il disait des vérités qui trouvent chaque jour leur application. Ce sage expérimenté et clairvoyant nous prévenait, comme s’il nous avait vus à l’œuvre une fois de plus, que nous étions un peuple assez étrange, tout feu ou tout découragement, plein d’illusions et de défaillances, aimant surtout les coups de théâtre, les révolutions ou les plébiscites, et passablement novice encore dans l’art de poursuivie un dessein pratique, de tenir tête aux difficultés de tous les jours, de les surmonter pied à pied par la patience persévérante. On dirait en vérité qu’en politique comme à la guerre nous ne sommes bons que pour l’assaut impétueux, pour les chocs retentissans, et qu’après cela tout nous semble pâle et décoloré ; nous nous hâtons de rentrer dans la routine, nous en revenons aussitôt à nous débattre dans une atmosphère épaisse et lourde, dans une multitude de petites combinaisons où l’on s’épuise sans marcher.

Est-ce que le duc de Broglie n’avait pas raison ? Est-ce que ce n’est pas notre histoire encore aujourd’hui ? C’est ce qu’il y a de plus vrai dans une situation qui ne se manifeste que par une fatigue ou une atonie universelle, par des indécisions et des ambiguïtés, et, chose curieuse, plus on fait d’efforts pour sortir de la confusion, plus on semble s’y enfoncer. La vérité est que nous ne nous trompions guère en disant l’autre Jour que le plébiscite avait momentanément émoussé les ressorts ordinaires de la politique en exerçant sur tout le monde une influence de dépression. Ce résultat, qui se prolonge et s’étend, s’est produit par la force des choses, par une sorte de détente après le combat, par la difficulté d’interpréter pratiquement le vote du 8 mai, et, dans ces conditions nouvelles subitement créées, le gouvernement, tout aussi dépaysé que Aies partis, est le premier à chercher sa voie, ta se demander ce qu’il veut ou ce qu’il doit faire. Le ministère fait ce qu’il peut pour s’établir solidement et à chaque instant il sent le terrain se dérober sous ses pieds, les partis cherchent à se reconstituer, et à chaque tentative qu’ils font ils paraissent un peu plus désorganisés. Voilà où nous en sommes provisoirement.

Le gouvernement, il est vrai, s’est donné récemment la satisfaction de déclarer qu’il représentait le pays, qu’il était en dehors des partis. C’est une puérile méprise, ou c’est une singulière façon de se mettre au-dessus des conditions parlementaires. Est-ce que tous les gouvernement n’ont pas la prétention de représenter le pays ? Dès qu’ils ont le pouvoir, ils personnifient le pays, ils agissent en son nom, cela est parfaitement certain ; mais en même temps, dans un régime parlementaire, tous les