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Aroanais, pour prononcer plus exactement, il paraît signifier simplement montagnards. On le trouve dans toute l’Europe et l’Asie anciennes et modernes pour désigner les habitans des hauts pays depuis les Alpes jusqu’aux frontières de la Chine ; mais le nom de Vlaques ne semble pas avoir dépassé les Alpes dinariques, qui séparent l’Adriatique du bassin du Danube et qui font suite au Balkan. Les Vlachopimènes forment donc dans toute la péninsule une race d’hommes isolée, à peu près pure, et qui voit les choses humaines d’un tout autre œil que les civilisés. L’état d’hostilité où elle se trouve, de cœur ou de fait, avec ces derniers serait inexplicable, si l’on ne remontait jusqu’à l’antique conquête par laquelle ils ont été confinés. Il faut savoir en effet que ces pasteurs se font brigands avec une facilité extrême, et que ce triste état n’est pas déshonorant à leurs yeux. La bande des frères Arvanitakis se composait en majeure partie de ces gens à foustanelle. Sur les sept qui ont été pris vivans, six étaient pasteurs et originaires de Turquie ; leurs familles habitent le Pinde entre la Thessalie et l’Épire. Un d’eux, interrogé par une personne qui lui reprochait ses méfaits, répondit : « Ce n’est pas crime, c’est bravoure ; » (δέν εΐναι χαχιά, εΐαι παλληχαριά). Durant l’interrogatoire, un autre trouva mauvais et « illégal » que les soldats grecs fussent venus les troubler « dans l’exercice de leur profession. » Ils sont en Grèce ce que furent dans les monts des Asturies les compagnons de Pelage.

Pour en finir avec les Vlaques du Pinde, je ferai remarquer que de tout temps, et aussi haut que l’on peut remonter dans l’histoire hellénique, on trouve ces populations sauvages et barbares menant de front le métier de bergers errans et de voleurs. Ce n’est pas ici le lieu, mais ce serait un travail intéressant de recueillir dans les anciens auteurs les textes qui prouvent la continuité et la haute antiquité de leur existence dans ces montagnes. Pour écarter l’idée que ce soient les restes d’une invasion slave, je rappellerai seulement qu’ils formaient un corps de troupes, probablement irrégulières, dans l’armée d’Alexandre le Grand ; le jour de la bataille d’Issus, ce roi, qui les connaissait bien, leur adressa quelques paroles citées par Quinte-Curce, et qui seraient parfaitement appropriées à un corps de brigands du Pinde, s’il en existait un aujourd’hui. Je ne veux pas pousser plus loin cette recherche, laissant le reste de la tâche aux érudits. Je dirai seulement que le système des bergers nomades existe de l’autre côté du Bosphore, qu’ils couvrent les montagnes de l’Asie-Mineure de l’ouest à l’est, qu’ils ont des centres dans l’ancien Bérécinte et dans l’Evend (anciennement Arvanta), qu’enfin il ne serait pas impossible de les suivre le long de cette grande chaîne diaphragmatique reconnue par Dicéarque, et