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plus tard, et lorsqu’au repos vous agitez et ruminez vos souvenirs. N’oublions pas le Vésuve, d’où, comme du ciel, on plane sur l’étincelante cité, Pompéi, la ville de Titus et de Vespasien, où vous assistez au mouvement de cette vie romaine dont près de deux mille ans nous séparent, et Pœstura avec ses temples grecs, superbes dans leur isolement, tout cela rapproché à souhait, fondu dans l’harmonie du tableau. Mais les ruines grecques, on ne les voit, on ne les goûte pleinement qu’en Sicile. En avril, Goethe s’embarque; il revient à Naples au mois de mai, après avoir exploré l’île dans tous ses recoins Et pris connaissance d’un monde nouveau. Si étranges, si admirables étaient les découvertes faites par lui dans cette Afrique du nord qu’en se retrouvant à Rome, au terme de son expédition, il croit rentrer dans son domicile naturel. C’est du reste une sensation connue de tous les voyageurs, qui, après avoir quitté Rome, y reviennent ensuite après une absence plus ou moins longue; on se figure revoir une patrie, il semble que ces lieux vous aient attendu, vous reconnaissent, que ces pierres vous disent quelque chose des belles années de votre enfance. Goethe raconte avec ravissement cette impression; pour la première fois, il se sentait calme, il se sentait vivre. « Je rêve, écrit-il, un rêve de jeunesse. » Il avait jusque-là nagé dans un étroit ruisseau dont ses bras, en s’ouvrant, touchaient les deux bords; il se roulait maintenant en plein océan, libre de choisir ses courans et toujours voguant vers l’infini. De cette antiquité confusément pressentie et désormais l’objet d’études si profondes, l’Allemagne n’avait pu même lui donner un avant-goût; il vivait en commerce immédiat, incessant, avec les originaux, touchait du doigt les Phidias et les Michel-Ange, et se faisait litière de chefs-d’œuvre, lui qui à Weimar en était réduit à devoir se contenter de quelques plâtres et de quelques estampes.

Rome est assurément une ville comme les autres, et cependant qui peut nier l’action qu’elle exerce sur les esprits? De même qu’il y a des lieux doués par leurs sources de propriétés salutaires, d’autres où la nature a déposé le précieux trésor de ses métaux et de ses pierreries, il semble que Rome ait ce don d’attirer, d’occuper éternellement l’imagination des hommes. Quiconque aura du haut du Capitole contemplé les monts albains ne les oubliera plus; ces lignes fermes et délicates lui resteront dans la mémoire comme l’écriture d’une main chérie. Des événemens accomplis là depuis des milliers d’années, de tout cet entassement de gloire et de catastrophes, une sorte d’atmosphère intellectuelle se dégage qui vous enveloppe et vous retient; on dirait que les nuages ont gardé quelque chose de ce grand bruit de pas humains qui s’est fait sur ce sol, et qu’il vous en revient par momens un sourd et mystérieux